« Il ne faut pas avoir de complexes »
Au fil des millésimes, par le travail et le talent de ses vignerons, le Muscadet a gagné sa place parmi les grands vins de France. Sommeliers, œnologues, journalistes mais surtout consommateurs reconnaissent l’évolution qualitative de l’appellation et le titre de vigneron de l’année décerné à Jérôme Bretaudeau le 9 janvier dernier par la Revue du Vin de France en est le révélateur. Le vigneron de Gétigné et le journaliste Alexis Goujard témoignent de cette ascension.
Comment avez-vous réagi quand vous avez appris que la RVF vous décernait le titre de vigneron de l’année ?
Jérôme Bretaudeau : Au-delà de la surprise, ma première réaction a été un sentiment de satisfaction. J’étais heureux et très fier aussi en même temps. Je l’ai appris à l’automne dernier, j’étais alors en pleine mise en bouteille. Mais je devais rester discret et ne rien révéler avant la cérémonie de début janvier. J’étais dans une sorte d’euphorie. C’est sensationnel de savoir que la profession reconnaît un vigneron dans un vignoble qui, certes se débat, mais sort surtout la tête de l’eau par la qualité des vins et par les vignerons qui les portent.
Selon vous, qu’est ce qui a orienté le choix de la Revue du Vin de France ?
Jérôme Bretaudeau : C’est la progression du domaine, des vins, d’année en année. La visibilité du domaine a augmenté, le commerce a progressé. Pour tout grand amateur de vin, quand on parle de vin blanc sec de Loire, on pense Muscadet et le nom du domaine est souvent cité. Les professionnels du vin sont venus me voir, ont vu le travail fait depuis deux décennies.
Et vous, quel regard portez-vous sur l’évolution de votre domaine ?
Jérôme Bretaudeau : Les dix premières années, il a fallu cravacher, bosser comme un fou. Et ensuite, ça s’est fait un peu naturellement, à charge de conviction. Je savais où je voulais aller qualitativement, sans concession. J’avais vraiment une idée en tête, et au fur et à mesure, de millésime en millésime, avec des bons et des moins bons, les vins ont eu une signature et une singularité. Et puis les retours des clients, professionnels et à l’export, étaient bons. Ils ont été témoins de cette évolution.
Vous pensiez un jour être vigneron de l’année ?
Jérôme Bretaudeau : Non, pas du tout. J’étais très loin de ça. Je me disais que si un jour j’étais cité dans un article, ce serait déjà très bien. Mais alors, finir vigneron de l’année, non, jamais de la vie. Je ne fais pas ce métier pour les titres. Mais quand les gens achètent ton vin, te remercient, te félicitent à chaque fois qu’ils débouchent une bouteille, tu te dis que tu es dans le vrai et ça, ça vaut tous les diplômes du monde. C’est aussi une superbe reconnaissance pour mon équipe qui est passionnée et toujours à la recherche de la qualité. Ils voient le résultat de leur travail. Un prix comme celui-ci, c’est une révélation.
Avez-vous conscience d’être une source d’inspiration pour de jeunes vignerons ou futurs installés ?
Jérôme Bretaudeau : Je ne me suis jamais considéré comme inspirant. Mais je peux le comprendre, comme moi, je l’ai été par d’autres vignons. Je suis allé les voir, j’ai dégusté pour comprendre. Non pas pour faire du copier-coller mais pour comprendre comment ils en étaient arrivés là, pourquoi leurs vins avaient quelque chose de plus. C’est beaucoup d’observation et d’échange. Chaque détail doit être analysé, décortiqué pour s’améliorer et aller vers la qualité. C’est un métier que l’on fait par passion. Il ne faut pas perdre ses rêves et considérer que rien n’est jamais acquis. Tu ne sais jamais ce qui peut t’arriver.
Comment arrive-t-on à vendre un Muscadet à plus de 45 € ?
Jérôme Bretaudeau : On propose et le client qui boit la bouteille doit se dire que le prix est secondaire. Il veut un vin parce qu’il se retrouve dans ce produit. Au début, on était loin de ça mais aujourd’hui, les clients savent ce que l’on fait, ont déjà gouté les vins et sont prêts à mettre ce prix-là. C’est le produit avant tout. Et je pense que pour valoriser ses vins, il faut être fier de les produire. Il ne faut pas avoir de complexes, surtout si le travail est bien fait, si la qualité est au rendez-vous, il faut valoriser. Pour palier aux pénuries de récolte, pour garder son personnel, investir, etc., il faut valoriser et ne pas avoir de vision à court terme.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du Muscadet et de son vignoble ?
Jérôme Bretaudeau : Le vignoble est en train de se réduire. Beaucoup de vignes sont arrachées, même dans des très beaux terroirs et ça, on ne peut que le regretter. On a perdu 50 % de la surface quasiment en un peu plus de 10 ans. Et parallèlement, le Muscadet a toutes ses chances, plus qu’ailleurs, puisqu’on a un vin blanc sec avec des belles acidités, des belles fraîcheurs, des degrés plutôt modérés, on peut travailler avec des belles maturités. Avec le climat qui évolue, on a vraiment une chance. À nous vignerons, de pouvoir la respecter, de travailler. Les périodes de petites récoltes ont toujours existé même s’il est vrai que le monde viticole évolue. Je pense que le Muscadet est en train de basculer vers une renaissance. On voit bien que la notoriété évolue, que la qualité des vins évolue aussi. À nous de rester là-dedans et ne pas y déroger. Certes, c’est beaucoup d’investissement, personnel, financier, mais la qualité paye.
Comment voyez-vous le vignoble dans 20 ans ?
Jérôme Bretaudeau : Il faut espérer qu’il restera des vignerons. Il faut valoriser notre territoire, valoriser notre cépage qui est unique et ces mosaïques de terroirs absolument admirables. Je pense qu’il y a un avenir, vraiment un avenir pour les vins blancs secs ligériens. Il faut juste résister malgré le contexte géopolitique, économique ou climatique.
Et vous, où serez-vous dans 20 ans ?
Jérôme Bretaudeau : Je serai encore là, bien sûr. Je ne sais pas comment, mais je graviterai toujours ici. J’espère que l’avenir sera radieux et que le Muscadet sera toujours parmi les grands blancs secs de France.
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Alexis Goujard lors de la remise du prix à Jérôme Bretaudeau le 9 janvier dernier à Paris. Crédit : Régis Grman.
Trois questions à Alexis Goujard
Journaliste à la Revue du Vin de France, spécialiste des vins de Loire, Alexis Goujard est membre du jury des Grands Prix de la RVF. Il revient sur la nomination de Jérôme Bretaudeau en tant que vigneron de l’année.
Pourquoi avoir décerné le prix de vigneron de l’année à Jérôme Bretaudeau ?
Alexis Goujard : Le journal suit Jérôme Bretaudeau depuis longtemps, quasiment depuis ses débuts. Nous dégustons ses vins tous les ans et nous avons constaté son incroyable progression. Nous l’avons d’ailleurs déjà salué en lui décernant 3 étoiles dans notre guide des meilleurs vins de France 2025. Le titre de vigneron de l’année est donc dans la continuité. Il produit des vins qui provoquent une émotion supplémentaire et représente le vigneron d’aujourd’hui dans sa démarche viticole et sa réflexion pour son vignoble. Jérôme Bretaudeau a renouvelé un style, une nouvelle facette du Muscadet.
Au-delà de récompenser l’homme, considérez-vous que ce prix récompense aussi le vignoble du Muscadet ?
Alexis Goujard : Oui car ce prix met un coup de projecteur sur un vignoble qui connaît une nouvelle dynamique depuis quelques années. Quelques domaines historiques ont ouvert la voie et mis en confiance la jeune génération. Aujourd’hui, on voit qu’avec la qualité des vins, leur profondeur, leur potentiel de garde, la jeune génération est consciente de l’énorme potentiel des vins du Muscadet. Ils tentent des choses dans la manière de vinifier avec beaucoup de fierté pour le melon b et le Muscadet. Les vins du Muscadet sont extrêmement contemporains. Ils sont frais, digestes, modérés en alcool et dans un contexte où les consommateurs recherchent des vins légers, plus faciles à boire, le Muscadet tire son épingle du jeu tout en conservant une complexité et un potentiel de garde.
Ce prix peut-il jouer sur la valorisation du Muscadet ?
Alexis Goujard : J’ai reçu une critique, à la suite de la nomination de Jérôme Bretaudeau, sur le fait de boire un Muscadet à 40 €. Pourquoi on pourrait boire un Bourgogne ou un vin de la Vallée du Rhône à 40 € et pas un Muscadet ? Un Muscadet ne doit pas se cantonner à rester à moins de 12 € la bouteille. Ce n’est pas logique et ça ne récompense pas tout le travail réalisé par les vignerons. Le Muscadet peut jouer dans la cour des grands et certains professionnels savent tout le potentiel et l’excellent rapport qualité-prix de ces vins.