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Alternance en viticulture : mode d’emploi

Les métiers de la vigne et du vin s’apprennent aussi sur le terrain. Longtemps proposés en voie scolaire classique, le Bac pro viti et le BTS technico-commercial vins et spiritueux sont désormais accessibles en alternance. Une manière pour les établissements scolaires d’attirer de nouveaux candidats et pour les employeurs de former les salariés de demain. Entretien croisé avec Florence Hommet, responsable de l’unité de formation par apprentissage du lycée Charles Peguy à Gorges, Isabelle David, coordinatrice du Bac pro viti au lycée de Briacé au Landreau, et Mickaël Arnoux, coordinateur technique viticole à Briacé.

Quelles sont les formations viticoles proposées en alternance et quel est le public visé ?
Florence Hommet : Notre établissement propose un BTS Technico-commercial vins, bières et spiritueux depuis plusieurs années en formation initiale. Depuis 4 ans, ce BTS est aussi accessible en alternance. La première promotion était « multi-profils », avec des jeunes en poursuite d’études et d’autres entre 25 et 29 ans ayant déjà eu une ou plusieurs expériences professionnelles. Les promotions suivantes sont des profils très jeunes, titulaires d’un Bac pro (Vente, Hôtellerie-restauration), d’un Bac STMG (Sciences et Technologies du Management et de la Gestion) ou d’un Bac général. Le fait de proposer cette formation en apprentissage nous a permis d’élargir le vivier de candidats et d’attirer plus de personnes. A la rentrée, nous aurons également une autre formation en alternance. Il s’agit d’un Certificat de Spécialisation commerce des vins mis en place dans le cadre du dispositif Visa Métiers de la Région Pays de la Loire. C’est une formation en un an, pour un public adulte, en recherche d’emploi ou déjà en poste et qui souhaite acquérir de nouvelles compétences.
Isabelle David : Depuis trois ans, le Bac pro CGEVV (Conduite et Gestion de l’Entreprise Viti-Vinicole), plus communément appelé Bac pro viti peut se faire en alternance à compter de la première ou de la terminale. Les élèves sont alors en mixité de public et suivent les cours en même temps que ceux en formation continue. On a lancé cette formation en alternance en pensant toucher un autre public, mais le vivier n’est pas là. Cette année, nous n’avons qu’un seul élève de terminale en alternance. Certains élèves préfèrent garder l’alternance pour la suite de leurs études alors qu’ils peuvent très bien enchaîner deux formations en apprentissage. Pour ceux qui veulent faire de l’alternance, leur motivation est liée à la lassitude du système scolaire classique, au fait de toucher un salaire et à la prise en charge financière de la formation par l’employeur. A noter qu’en 2024, le lycée de Briacé proposera également le BTS viti-oeno en alternance.
Mickaël Arnoux : En parallèle de cette formation jeune, Briacé forme également les adultes, souvent en reconversion professionnelle. Le BPREA Vigne & Vin (Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole), porté en partenariat avec le centre de formation EFEA de la Chambre d’agriculture, peut se faire en apprentissage sur 2 ans et nous avons tous les ans un ou deux alternants. Nous proposons aussi un CAP viti en alternance et en partenariat avec le lycée Charles Péguy, mais nous n’avons pas pu le lancer l’an passé faute de candidats.

Le lycée Charles Peguy à Gorges accueille 1800 élèves de la seconde au BTS.

Quel est le contenu de ces formations ?
Florence Hommet : En BTS, les étudiants vont travailler les matières générales – français, maths, sport, etc. – mais aussi acquérir des connaissances sur le produit afin de développer un argumentaire commercial. Ils vont travailler la viticulture-œnologie, la géographie viticole, la dégustation, les accords mets et vins, ainsi que tout ce qui relève de la gestion d’entreprise : comptabilité, marketing, e-commerce, etc. On favorise aussi beaucoup les rencontres et les visites d’entreprises, notamment chez les vignerons, dans l’objectif de développer les réseaux. Le Certificat de Spécialisation comporte lui 4 unités capitalisables sur la politique commerciale, les techniques de vente et de négociation, le suivi des ventes et la présentation des vins.
Isabelle David : Le Bac pro aborde à la fois la partie culture de la vigne, l’œnologie et la gestion d’entreprise. L’idéal est que le jeune en formation puisse, chez son employeur, avoir accès à tous les services de l’entreprise. Il faut qu’il soit à la taille, qu’il suive les vinifications mais aussi qu’il passe dans les bureaux.
Mickaël Arnoux : Les personnes en BPREA ont pour ambition de s’installer comme chefs d’exploitation. En plus de la culture de la vigne, elles vont acquérir des connaissances œnologiques, commerciales et apprendre la gestion technico-économique, financière et administrative de l’entreprise.

Comment travaillez-vous avec les entreprises viticoles pour l’accueil des apprentis ?
Florence Hommet : En BTS, nos apprentis sont majoritairement accueillis chez des cavistes mais on constate que les demandes pour travailler dans des domaines augmentent d’année en année. Cette année, nous avons 4 étudiants chez des vignerons. Ce sont des domaines déjà organisés sur la partie commerciale mais qui ont besoin de monter en puissance. Pour ce qui est de l’accueil, quand l’apprenti est jeune, on s’assure d’abord que rien ne vienne parasiter son apprentissage. On vérifie s’il peut facilement se rendre sur son lieu de travail, si les parents soutiennent leur enfant. Côté profil, un vigneron va chercher une personne polyvalente. L’apprenti sera associé aux travaux de la vigne et à la fabrication, tout en étant recruté pour développer des actions commerciales. Nous allons donc lui proposer 2 à 3 profils et il sera libre de faire passer des entretiens ou de nous confier la sélection.
Isabelle David : Nous recevons beaucoup de demandes d’entreprises viticoles et pas uniquement du vignoble de Nantes. Nous pouvons faire la mise en relation entre le candidat et l’entreprise. Une fois le contrat signé et en début de formation, nous organisons une rencontre avec tous les maîtres d’apprentissage de toutes les formations pour leur expliquer les attentes générales du corps enseignant et leurs obligations vis-à-vis du jeune.
Mickaël Arnoux : L’unité de formation des apprentis de Briacé est rattachée à l’Esa d’Angers pour tous les aspects juridiques. Toute la partie contrat et réglementation est donc placée sous son contrôle.

L’exploitation viticole du lycée de Briacé permet aux élèves de mettre en pratique leurs apprentissages. Crédit : Quentin Chaumy – Briacé

Quelles sont les conditions à respecter pour accueillir un apprenti ?
Florence Hommet : Il faut savoir que l’apprenti n’est pas un salarié comme les autres. Il y a un vrai accompagnement à fournir. On remet d’ailleurs à chaque employeur un livret d’accueil qui recense la liste des compétences à acquérir en entreprise et/ou en formation. Pour le reste, le code du travail s’applique. L’élève passe une visite médicale obligatoire d’embauche, il a 5 semaines de congés à prendre sur le temps en entreprise, il peut effectuer des heures supplémentaires (dans la limite de la durée hebdomadaire légale de travail) à condition qu’elles soient payées ou récupérées, etc.
Isabelle David : Prendre un jeune en apprentissage est un vrai engagement. Si l’employeur veut prendre un apprenti uniquement dans le but de payer un salarié moins cher, c’est un mauvais calcul. L’apprenti doit voir le maximum de choses dans l’entreprise et ne pas se voir confier seulement des tâches répétitives au risque de le dégoûter. Concernant l’accueil d’un apprenti mineur, il faut savoir que l’élève ne peut pas faire plus de 35 heures par semaine. Concernant la dégustation de vins, elle est possible à condition de recracher. L’utilisation du matériel agricole est également très encadrée et l’employeur doit demander une dérogation à l’utilisation des machines dangereuses auprès de la Direccte. Le document unique d’évaluation des risques professionnels doit par ailleurs être à jour et affiché dans l’entreprise.
Mickaël Arnoux : En formation adulte, nous demandons au préalable aux candidats une validation de leur projet via la PMSMP, la période de mise en situation en milieu professionnel, effectuée via Pole Emploi ou un bilan de compétences. C’est un préalable au financement des formations.

Quel est le rythme de l’alternance ?
Florence Hommet : C’est 15 jours à l’école et 15 jours en entreprise sauf en décembre où l’élève passe tous le mois en entreprise, et la base horaire est de 35 heures par semaine.
Isabelle David : L’alternance se fait sur des périodes allant de 15 jours à 3 semaines. Pour un élève en Bac pro, cette formation demande beaucoup d’autonomie et notamment de travailler ses cours le soir après la journée de travail.

Quel suivi effectuez-vous durant la formation ?
Florence Hommet : Nous accompagnons beaucoup les étudiants dans leurs recherches et nous effectuons un suivi durant toute la durée du contrat avec 3 visites par an pour voir son intégration et l’évolution de ses compétences. Ces visites sécurisent aussi l’employeur. A chaque retour d’entreprise, l’étudiant fait toujours le point avec son formateur. Cela permet de voir s’il y a des difficultés ou des attentes particulières.
Isabelle David : Nous organisons régulièrement des visites sur site et nous gardons une trace de tous les échanges dans le livret d’apprentissage. Il peut arriver qu’un contrat soit rompu en cours de formation. Parfois il y a un choc des cultures entre un employeur qui n’a pas conscience de qui il va accueillir chez lui et un jeune sont souvent accroché à son portable… Il faut fixer en cadre. Mais si ça ne fonctionne pas, il vaut mieux rompre le contrat. Dans le cadre d’un contrat d’apprentissage il y a par ailleurs une période d’essai de 45 jours qui permet aussi bien à l’employeur qu’au jeune de voir si ça fonctionne.

Quel est le coût pour l’employeur ?
Florence Hommet : L’apprenti est rémunéré selon un pourcentage du SMIC en fonction de son âge et de son année de contrat. Mais les employeurs bénéficient d’une aide de l’État de 6000 € pour la première année ainsi qu’une exonération des charges sociales. Une simulation financière est transmise à chaque entreprise afin qu’elle sache exactement ce que va lui coûter un apprenti durant toute la durée du contrat.

Ci-dessus, le niveau de rémunération d’un apprenti en fonction de son âge et de son année de formation. Ci-dessous, le coût détaillé de l’alternance pour l’employeur.

Que font les étudiants à l’issue de leur formation ?
Florence Hommet : Un étudiant sur 3 poursuit. Certains se dirigent notamment vers une licence pro marketing et commercial international des vins à Angers. 60 % cherchent du travail ou sont embauchés par l’employeur chez qui ils ont fait leur apprentissage.
Isabelle David : Un tiers environ de la promotion arrête ses études pour entrer sur le marché du travail. La plupart poursuivent vers un BTSA viticulture-œnologie ou un BTSA technico-commercial en vins et spiritueux et même une licence professionnelle ensuite, le plus souvent avec une orientation commerciale (œnotourisme, commerce international…). D’autres vont vers le machinisme agricole, soit un BTSA, soit en formation courte type Certificat de Spécialisation.

Le secteur viticole est-il attractif auprès des jeunes ?
Florence Hommet : Le BTS accueille une quarantaine d’étudiants par an, en formation initiale temps plein et en alternance. C’est une formation de niche et parfois les jeunes ont peur de trop se spécialiser et se dirigent vers des formations généralistes. Mais il y a une vraie appétence et un vrai engouement pour ce type de formation même si elle est relativement peu connue. C’est avant tout la passion produit qui attire sur ce BTS spécialisé.
Isabelle David : On constate qu’après chaque épisode difficile dans le vignoble comme le gel, les candidats se raréfient. On a par ailleurs très peu d’enfants de vignerons, moins d’un tiers. Les jeunes qui arrivent vers ces formations viennent par le vin, par le produit. Mais nous avons besoin de prescripteurs pour leur faire connaître le Bac pro viti qui est une formation unique en Loire-Atlantique.

Est-il encore temps d’accueillir un apprenti pour la rentrée prochaine ?
Florence Hommet :
Nous sommes en plein recrutement et il n’est pas trop tard. On peut d’ailleurs commencer un contrat d’apprentissage jusqu’à 3 mois avant le début de la formation. La rentrée des BTS aura lieu le 28 août donc les contrats peuvent démarrer dès à présent.


  • Les points à retenir :

    • Les formations en apprentissage dans le vignoble de Nantes portent aussi bien sur la production (Bac pro viti à Briacé) que sur le commerce des vins (BTS TC Vins, Bières et Spiritueux et Certificat de Spécialisation Commercialisation des vins à Charles Peguy).
    •  Le maître d’apprentissage est responsable de la formation de l’apprenti et assume la fonction de tuteur.
    • Des journées sont organisées par les établissements scolaires pour préparer les maîtres d’apprentissage à leur rôle.
    • Le contrat d’apprentissage dispose d’une période d’essai de 45 jours. Passé ce délai, une rupture de contrat est possible. L’apprenti dispose alors de 6 mois pour trouver un nouvel employeur.
    • Le contrat d’apprentissage peut débuter 3 mois avant le début de la formation.
    • La rémunération de l’apprenti dépend de son âge et de son année de formation.
    • Dans le cadre du soutien à l’alternance, l’État verse une aide de 6000 € à toutes les entreprises pour un contrat d’apprentissage conclu avec un alternant, mineur ou majeur, pour la 1ère année de contrat.