Philippe Pellaton : « L’adaptation réglementaire doit aller aussi vite que le changement climatique »
Signe de qualité, l’Appellation d’Origine Contrôlée protège et valorise un savoir-faire. Fondée sur des notions de terroir, c’est aussi une démarche collective. Elle fédère les producteurs qui s’engagent à respecter un cahier des charges tout en bénéficiant de la « marque ». Mais avec le changement climatique et le contexte économique actuel, les AOC, notamment viticoles, peuvent paraître trop contraignantes, trop figées. Alors que plusieurs études (WineIntelligence, SoWine*) indiquent que le signe de qualité n’est pas le critère de choix principal pour les consommateurs lors de l’achat d’une bouteille, peut-on encore considérer l’AOC comme un levier de valorisation ? Quels sont ses atouts ? Doit-elle s’adapter aux évolutions climatiques et environnementales ? Pour répondre à ces questions, nous avons sollicité Philippe Pellaton, président du Comité régional de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) du Rhône, président d’Inter-Rhône et de la commission d’enquête sur la réforme du cahier des charges Muscadet.
Les Appellations d’Origine Contrôlée sont-elles un levier de valorisation pour les vignerons ?
Clairement oui, sans hésitation aucune. Le fait d’avoir une démarche collective autour d’un cahier des charges, de pratiques environnementales, paysagères, etc., amène de la valeur car il s’agit d’un mouvement collectif de grande ampleur. Cela reste pour moi un levier de valorisation fabuleux notamment quand on parle de hiérarchisation au sein des appellations. Au sein de l’appellation Côtes du Rhône, nous avons plusieurs niveaux : l’appellation régionale, puis les Côtes du Rhône Villages avec ou sans nom de commune, et au-dessus nous avons les crus. On a donc un formidable levier de progression, de valorisation humaine, de valorisation des terroirs et in fine de valorisation financière.
Pourtant aujourd’hui, le signe de qualité est peu connu des consommateurs. Il l’est moins notamment que le label Agriculture Biologique (AB). Ce n’est pas non plus un critère de choix dans l’acte d’achat. Comment alors valoriser l’AOC auprès des consommateurs ?
Que le sigle AOC soit moins connu ou reconnu que d’autres labels ne me choque pas puisque les communications directes sur les termes AOC ou AOP n’existent pas. Effectivement, entre tous les signes de qualité, AOP, IGP (Indication Géographique Protégée), sans IG (Indication Géographique), le consommateur peut avoir du mal à s’y retrouver mais je ne sais pas si l’enjeu est là. La connaissance ou la reconnaissance d’une appellation dépend de sa capacité à communiquer. Derrière la notion d’AOC, il y a une structuration et c’est cette structuration qui donne de la valeur. Derrière une AOC, il y a des Organismes de Défense et de Gestion, ces ODG tiennent un groupe de personnes qui bâtissent un cahier des charges. Ces ODG sont intégrantes d’une interprofession qui a cette puissance de communication. Tout cela concourt à une notoriété, à une image. Mais il est vrai qu’il est difficile de communiquer sur le terme AOC car chaque appellation à son cahier des charges.
Les AOC sont-elles un atout à l’étranger ?
Oui. La présence à l’export dépend beaucoup des mécaniques promotionnelles et particulièrement interprofessionnelles. Si on y va seul, c’est voué à l’échec. La reconnaissance d’une appellation est liée à des actions en termes de communication, d’événementiel. Au niveau des Côtes du Rhône, nous avons aujourd’hui une vraie identification des appellations après des années d’investissement sur des marchés de proximité comme l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne ou les pays scandinaves. Depuis peu, nous mettons aussi des actions en place au niveau du grand export (États-Unis, Canada, Chine), mais sous la bannière commune de la Vallée du Rhône. On fédère alors l’ensemble des appellations avec des mécaniques promotionnelles.
Certains vignerons décident parfois de s’affranchir de l’AOC pour produire en vin de France. Cela vous inquiète-t-il ?
C’est, selon moi, un épiphénomène. Certains ont bâti une notoriété sur l’appellation et s’en affranchissent une fois qu’elle est gagnée. Je suis assez critique envers ce type de pratique. Si une personne veut sortir de l’AOC, cela lui appartient mais ce n’est pas une sortie ex-nihilo. Je suis très collectif et j’ai du mal avec ce genre d’initiatives individuelles, mais je ne suis pas inquiet.
« Le sujet des prix est complexe car il touche à des stratégies individuelles. »
Sur le plan commercial, une bouteille d’AOC à moins de 5 € est-elle aujourd’hui rémunératrice au vu du contexte économique et environnemental actuel ?
Non absolument pas. J’aimerais que toutes les bouteilles d’AOC soient au moins à 5 € mais c’est loin d’être le cas. On s’aperçoit aussi que les courbes et les cours peuvent facilement retomber aux prix d’il y a 20 ans. C’est difficile de se projeter quand on est vigneron, jeune vigneron, avec ces courbes en sinusoïde. Cela touche toutes les appellations, un peu plus les appellations régionales que les crus. Les appellations régionales qui sont assez volumiques avec une consommation domestique subissent quelques contre-coups. Mais non, à moins de 5 € ce n’est pas rémunérateur. Il y a parfois un peu de gêne à vendre plus cher mais on construit ensuite une stratégie tarifaire qui part d’un prix qui n’est pas assez haut. C’est un sujet complexe car il touche à des stratégies individuelles.
Avec le changement climatique et les évolutions environnementales, pensez-vous que les cahiers des charges des appellations doivent s’adapter ?
Ce n’est pas simple de répondre oui ou non à cette question parce qu’il y a d’un côté les exigences environnementales et de l’autre, celles du changement climatique. Ce sont deux problématiques différentes. Sur la partie changement climatique, les AOC doivent s’adapter à un certain nombre d’items transversaux comme le décret irrigation par exemple. Chaque AOC doit par ailleurs pouvoir réfléchir à ce que peut être son aire délimitée en perspective du changement climatique, ces aires et les critères de délimitation étant parfois très anciens. Le toilettage de ces critères n’est pas forcément simple, on rouvre un peu la boîte de Pandore avec le risque, en les modifiant, de déplacer l’aire et de perdre ou de gagner quelques hectares. Il faut donc avoir des critères qui soient plus mobiles. C’est quelque chose dans lequel on doit pouvoir s’engager sans crainte. Sur la partie environnementale, les labels AB, HVE (Haute Valeur Environnementale), Terra Vitis, sont des labels externes aux AOC et ils n’ont pas leur place dans les cahiers des charges. Ils sont plutôt comme une annexe, un complément à notre engagement de signes de qualité. Les cahiers des charges d’appellations peuvent d’ailleurs embarquer un certain nombre d’items de réduction des intrants. Ça ne me choque pas qu’une ligne précise, contrôlable, intègre le cahier des charges mais les autres labels environnementaux n’y ont pas leur place.
« Il faudrait que l’on arrive à gérer par l’exception les adaptations aux cahiers des charges face à ces aléas climatiques puissants. »
Les démarches de toilettage que vous évoquez prennent du temps. N’est-il pas nécessaire aussi de faire évoluer l’administration afin d’aller plus vite et de coller aux attentes ou aux besoins du terrain ?
On constate depuis quelques années une accélération des phénomènes météorologiques extrêmes. C’est en moyenne une année sur deux. Notre capacité à réagir ne va pas assez vite. Effectivement, l’adaptation réglementaire doit aller aussi vite que le changement climatique. Mais il ne faut pas pour autant perdre notre âme. C’est complexe, mais il faudrait que du côté de l’INAO on arrive à gérer par l’exception les adaptations aux cahiers des charges face à ces aléas climatiques puissants. On le fait déjà. On a une capacité à travailler, à bouger dans la limite des rendements butoirs par exemple. Cette année nous avons aussi autorisé dans le Rhône, l’irrigation sur des appellations qui ne l’avaient pas prévu dans leurs cahiers des charges. Saint-Péray et Hermitage sont des appellations qui n’ont jamais eu besoin d’irrigation mais pour qui le manque d’eau devenait problématique cette année. Il y a une ouverture sur le sujet. Ce n’est pas forcément fluide, monter un dossier est parfois un peu complexe et on a souvent tendance à réagir à posteriori. Parfois il faut réagir avec anticipation. C’est ce qui s’est passé cette année et j’en suis satisfait. La tendance est bonne, l’administration prend en compte ces éléments même s’il faut encore travailler cette fluidité et la mécanique qui permet de poser un dossier sur la table.
Vous avez fait partie de la précédente commission d’enquête Muscadet, vous en êtes désormais le président. Quel regard portez-vous sur les évolutions de l’appellation ?
En tant que président de la commission d’enquête, j’ai un devoir de réserve. J’attends de revenir et voir quels sont les points en débat aujourd’hui. Ces derniers temps, il y a eu un gros travail sur la hiérarchie du Muscadet notamment avec les Dénominations Géographiques Complémentaires et je trouve cela très pertinent. Il y a un travail de fond engagé. Je n’ai pas d’apriori. La situation du moment – économique, climatique, environnementale – nous amène à réfléchir à moins de contraintes mais moins de contraintes ne veut pas dire aucune règle dans le cahier des charges. Ce n’est pas forcément dans la simplification que l’on va trouver des vertus de positionnement. Il faut tenir les fondamentaux qui permettent d’écrire une forme de stratégie qui s’explique et compréhensible pour tous les vignerons.