Vendanges 2022 : Radiographie d’un millésime en Muscadet
Depuis le 23 août, c’est l’effervescence dans le vignoble de Nantes. La proclamation du ban des vendanges pour les vins d’AOC Muscadet a donné le coup d’envoi de la récolte. Si celle-ci se tient sur plusieurs semaines, elle a fait l’objet de toutes les attentions durant l’été. Entre contrôles de maturité et mise en place d’une réserve interprofessionnelle, les acteurs de la filière sont mobilisés pour assurer de la réussite de ce millésime
Maturité sous contrôle
Les premiers prélèvements ont été effectués le 11 août dernier. Des prélèvements « zéro » sur trois parcelles à La Haye-Fouassière, le Loroux-Bottereau et La Varenne pour statuer sur la maturité des baies après une année particulière, marquée par des nuits de gel en avril et des épisodes caniculaires depuis mai. « Les contrôles de maturité sont effectués par plusieurs organismes : la Fédération des Vins de Nantes, la Commission de développement viticole, l’INAO et Inovalys. Nous nous mettons en ordre de marche fin juin, début juillet pour commencer les contrôles 90 jours environ après la fleur », explique Romain Mayet, ingénieur à la Fédération des Vins de Nantes. Réalisés depuis 1986, ces contrôles de maturité sont un indicateur de la qualité du millésime. « Ils ne se substituent pas au suivi fait par l’opérateur. Chaque parcelle est différente et il y a toujours une hétérogénéité. Les vignerons en sont conscients et sont moins dans l’automatisme qu’il y a quelques années », poursuit Romain Mayet. En moyenne, deux contrôles de maturité sont effectués avant le ban et ils se poursuivent jusqu’à la récolte des parcelles prélevées. On en compte 20 en melon de Bourgogne, 5 en gamay, 5 en malvoisie, 4 en gros plant et 3 en chardonnay, des Moutiers-en-Retz jusqu’à Liré. Pour toutes, le processus est le même. Deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, 200 grains sont prélevés sur un même rang, des deux côtés, puis envoyés pour analyses à Inovalys à Nantes. Les jus y sont pressés afin d’analyser le taux d’alcool, le sucre, l’acidité totale ou encore l’acide malique. Les résultats sont transmis à la Fédération en fin de journée puis traités par Romain Mayet qui envoie son suivi de maturité et ses observations sur l’état sanitaire aux opérateurs. Cette année, deux prélèvements ont été réalisés avant la proclamation du ban, les 18 et 22 août.
Le ban, entre protection et tradition
Certaines appellations s’en sont affranchies, mais le Muscadet, le Gros Plant et les Coteaux d’Ancenis ont conservé le ban des vendanges. L’autorisation de récolter le raisin figure aux cahiers des charges. Elle est prononcée par le Préfet, sur demande de l’INAO et proposition de la Fédération viticole. Il est toutefois possible de déroger à la législation si la maturité d’une parcelle l’exige. L’opérateur doit alors justifier sa demande auprès des services de l’INAO. Pour Romain Mayet, le ban des vendanges est « un garde-fou. C’est une capacité collective à dire qu’on ne fait pas n’importe quoi. C’est aussi une tradition. C’est un rendez-vous, pour la presse notamment qui vient alors faire des reportages dans les vignes. » Ouest-France, RTL, France 3, Hit West, etc., les médias sont allés à la rencontre des vignerons et des vendangeurs dès le 23 août. Une couverture qui contribue aussi à la notoriété du vignoble et de ses appellations. « Précoce », « prometteur », « exceptionnel », les médias n’ont d’ailleurs pas manqué de superlatifs pour qualifier ces vendanges et ce millésime. La précocité est en effet au rendez-vous cette année. Avec un ban au 23 août, on se rapproche du millésime 2020 où le ban avait été prononcé le 26 août, et de 2011 avec un ban au 24. Le record de 2003 avec un début de récolte au 19 août n’a toutefois pas été battu mais il faut s’attendre à l’avenir à ce que les vendanges soient de plus en plus tôt dans le calendrier.
Quantité et qualité
Des Côtes de Grandlieu au Coteaux d’Ancenis en passant par le Sèvre et Maine, la récolte n’a toutefois pas été lancée partout à la même date. Si la plupart ont démarré aux alentours du 29 août, d’autres ont attendu le 5 voir le 6 septembre pour ramasser les grappes. Les quelques averses et les températures élevées ont permis de pousser la maturité à son maximum. Côté qualité, tous les vignerons s’accordent pour parler d’un millésime extraordinaire, avec de beaux équilibres sur le melon de Bourgogne et des jus prometteurs. Quantitativement, c’est encore l’inconnue. Si des parcelles révèlent de belles surprises, d’autres sont un peu moins généreuses. Les grains sont par ailleurs légèrement plus petits que la normale. Les rendements des cahiers des charges ne devraient donc pas être atteints. Pour cette année, ce sont d’ailleurs ces rendements qui ont été demandés par la Fédération des Vins de Nantes à l’INAO soit 70hl/ha en Muscadet AOC et Gros Plant, 55 hl/ha en Muscadet sous-régional avec et sans mention sur lie, 45hl/ha pour les crus communaux, 50 hl/ha pour le Coteaux d’Ancenis Malvoisie et 60 hl/ha pour les Coteaux d’Ancenis rouges et rosés. Malgré tout, ce millésime sera de toute façon supérieur à celui de 2021 et permettra de refaire les stocks descendus à 8 mois de commercialisation en Muscadet.
Du GPS à la réserve interprofessionnelle
Compte tenu des prévisions de récolte à venir, des sorties de chais estimées à 265 000 hl et de l’état des stocks, les acteurs de la filière, production et négoce ont acté la mise en place d’une réserve interprofessionnelle pour les Muscadets sous-régionaux sur lie. « L’enjeu est la régulation de nos ventes. Nous ne devons pas vendre une récolte mais un stock en lissant les années les plus généreuses et les années de disette liées aux aléas climatiques », explique Christian Gauthier, président de la Fédération des Vins de Nantes. Pour éviter les à-coups, les deux familles se sont mises d’accord pour échelonner les sorties avec la mise en marché d’une première tranche de 35hl/ha en mars 2023 et la libération du complément en fin de campagne au plus tard le 1er septembre 2023, voire avant si le marché le demande. Ces décisions seront effectives après vote en assemblée générale de l’interprofession.
Pour Christian Gauthier, cette réserve vise à « sécuriser l’approvisionnement des sur lie et non à contraindre le marché ». Elle complète par ailleurs le dispositif GPS, gestion prévisionnelle des sorties, qui depuis 2015 oriente les producteurs dans la commercialisation des Muscadets sur lie. Au moment de la revendication, ils sont en effet informés des volumes commercialisés sur les 3 dernières années, augmentés d’un pourcentage de progression de 10 %, afin là aussi de réguler le marché. Pour Christian Gauthier, ces mesures permettront de « gagner en stabilité pour construire une stratégie d’avenir. » Face à la récurrence des aléas climatiques et à la réduction des surfaces, les vignerons de Nantes s’adaptent. Ils poursuivent par ailleurs le travail de simplification de la hiérarchie du Muscadet et de valorisation de l’élevage sur lie. L’objectif étant d’assurer la réussite des prochains millésimes.