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Face au gel, le vignoble a musclé sa défense

Début avril, c’est un nouveau match contre les aléas climatiques auquel ont participé les vignerons de Nantes. Si le gel a une nouvelle fois frappé, il a été moins sévère qu’en 2021. La vigne était aussi moins avancée et les domaines plus équipés. Tours, fils chauffants, aspersion ou bougies, c’est toute une défense qui a été mise en œuvre avec des résultats plutôt positifs.

Un mois après les quatre nuits de gel, les vignes du Muscadet arborent de jolies feuilles vertes et les premières grappes sont déjà visibles. Mais malgré ce joli tableau, il est encore difficile d’évaluer les dégâts réels causés par les gelées printanières du 1er au 4 avril. « Jusqu’à la nouaison, il sera compliqué de mesurer le nombre de bourgeons touchés et l’impact sur le rendement », confirme Mathieu Jehanno, conseiller viticole à la chambre d’agriculture. « Des parcelles n’ont pas été touchées, certaines à 5 %, d’autres à plus de 50 %. On avait aussi des doutes sur des bourgeons dans le coton qui finalement ont démarré. On se donne encore du temps pour avoir une analyse plus précise des dégâts. »
Malgré ces incertitudes, il est un fait indéniable : la vigne était cette année moins avancée qu’en 2021 et donc moins sensible à la vague de froid qui s’est abattue sur le vignoble dès le vendredi 1er avril. « Le beau temps et le vent nous ont aussi sauvé », précise Mathieu Jehanno. « Le vendredi, les températures ne sont pas tombées très bas et le vent a bien asséché la pluie tombée la veille. A ce stade, les dégâts étaient minimes. Il y a eu un peu de neige par endroits le vendredi mais il a de nouveau fait beau le samedi. Le dimanche, les températures sont descendues un peu plus bas mais c’est surtout le lundi matin qu’ont eu lieu les dégâts les plus importants avec des températures allant parfois jusqu’à -7 °C localement. » Un nouvel épisode a également eu lieu les 9 et 10 avril, avec une baisse des températures rapide mais un froid moins intense que le week-end précédent.

Instantané du 28 avril à Vallet. La vigne est au stade boutons floraux agglomérés.

De l’aspersion aux fils infrarouges
Face à la récurrence des aléas climatiques et pour éviter de revivre le cauchemar de 2021, de nombreuses exploitations se sont équipées. Impossible cependant d’estimer avec précision les surfaces couvertes dans le vignoble, aucun recensement n’ayant été effectué. Elles sont en tout cas plus importantes que l’an passé. En 2021, la chambre estimait à 150 hectares la surface protégée avec une cinquantaine de projets d’équipements en 2022. Mais ces projets ont finalement peut-être été plus nombreux, certains ayant été autorisés à la dernière minute comme ce fut le cas de l’aspersion. La Préfecture a en effet été accordé cette solution à titre dérogatoire, pour des prélèvements effectués entre le 1er avril et le 15 mai. A Gorges, Fred Lailler a ainsi terminé l’installation de son système d’aspersion sur 4 hectares le 31 mars pour une mise en route le 1er avril. In extremis, mais sans regrets. « Le résultat est spectaculaire. 95 % des bourgeons ont été sauvés. Il y a eu quelques pertes sur les bordures ou sous les tuyaux mais ce sont des petits ajustements à corriger. » Pendant les 4 nuits de début avril, ses vignes ont été arrosées en continu jusqu’au point de degel, tout comme celles des trois autres exploitations équipées en Sèvre et Maine. « Les retours des vignerons sont très bons dans l’ensemble. On réalise actuellement des comptages pour avoir des résultats précis », indique Mathieu Jehanno de la chambre d’agriculture.

Pour une grande partie des exploitations, la protection s’est matérialisée par des tours anti-gel. Mobiles ou fixes, « il s’en est installé beaucoup cette année même si toutes n’ont pas été livrées à temps », poursuit le conseiller viticole. « Il y a eu pas mal de tours mobiles, Tow and Blow et DS Eole. Pour les fixes, elles étaient uniquement en 2 pales, et certaines étaient en plus équipées d’une chaudière. Les résultats sont corrects, un peu meilleurs sur les tours fixes. Sur les mobiles suivies, selon les conditions d’installation, on a pas toujours les 4 ha de protection annoncés. » Certains vignerons ont par ailleurs dû faire face à des mises en sécurité de leurs tours mobiles, celles-ci s’arrêtant au-delà de 13 km/h de vent. Généralement entourées de bougies ou de braseros, elles doivent être mises en route en amont, le temps d’allumer toutes les sources de chaleur. « Certaines l’ont été tardivement. Pour bien faire il faudrait que tout soit allumé à 1°C », ajoute Mathieu Jehanno. L’inconvénient, c’est le coût de ces équipements : 40 000 € environ pour une tour mobile, 70 000 € pour une fixe avec chaudière, sans compter le coût énergétique avec en moyenne 200 litres de fioul sur une tour fixe pour 1 ha et 6 heures de protection. Ils sont également bruyants et peuvent causer des désagréments aux riverains. Pour éviter les frictions et sensibiliser la population, la chambre d’agriculture et la Fédération des Vins de Nantes avaient adressé fin mars un courrier aux maires du vignoble. Des vignerons ont également pris l’initiative de prévenir leurs voisins du déclenchement des tours. Thierry Martin à Gorges, les avait même invité à la mise en route de sa tour fixe. « Je n’ai eu qu’une seule riveraine mécontente mais sinon les autres ont bien compris l’importance de ces équipements. »

De nombreuses tours anti-gel de ce type ont été installées dans le vignoble.

Utilisées depuis quelques années maintenant, les bougies ont également été largement déployées dans le vignoble début avril. « Les bougies seules ont eu de bons résultats avec en moyenne 85 % de la surface couverte protégée. Mais c’est une solution onéreuse. Une bougie compte entre 10 et 11 € et il en faut environ 300 à l’hectare. Elles sont difficiles à mettre en place, il faut du monde pour les allumer et l’impact carbone est lourd notamment avec les fumées dégagées. » Les années de fortes gelées, leur efficacité est par ailleurs réduite, comme ce fut le cas l’an passé.

A La Chapelle-Heulin, le domaine Bonnet-Huteau a multiplié les équipements de protection cette année. Bougies, tours, frostguard ont donné d’excellents résultats mais ce sont surtout les fils chauffants qui satisfont le plus Jean-Jacques Bonnet et Vincent Pineau. 5 hectares sur 43 au total, sont aujourd’hui câblés et le résultat « est impeccable », dixit Vincent Pineau. « Ils ont une très bonne efficacité », confirme Mathieu Jehanno. « Le seul petit défaut, c’est qu’ils ne protègent que ce qui est contre le fil. » L’autre écueil, c’est le prix de l’installation : 28 000 €/ha plus la location d’un groupe électrogène et le fioul pour son fonctionnement.

L’efficacité des fils chauffants est proche des 100 %.

Au Loroux-Bottereau, de nouveaux fils ont été testés cette année sur 40 ares. Des fils non pas chauffants mais infrarouges. Cette solution baptisée Frolight System se compose de lampes infrarouges contenues dans un tube transparent qui réchauffent la baguette par transfert de chaleur. Cela donne de magnifiques images en pleine nuit et des résultats positifs avec un gain de température de 6°C. Mais là aussi, le dispositif est coûteux. Le fabricant belge annonce un prix de 4,50 € le mètre, câbles et pupitre de raccordement compris. Pour Philippe Chon qui en a fait l’acquisition, l’investissement en vaut la peine. « L’allumage et l’extinction sont automatiques à 2°C. Le dispositif est programmable et pilotable à distance grâce à une carte wifi installée dans le pupitre. Il n’y a pas de nuisance sonore ou visuelle et c’est facile à mettre en place. » Mais, car il y a un mais, il faut démonter les câbles une fois le risque passé pour éviter de les endommager lors des traitements.

Le système breveté développé par l’entreprise belge Frolight a été testé pour la 1ère fois en Val de Loire, au Loroux-Bottereau.

En parallèle de ces équipements, d’autres solutions ont également été mises à l’essai comme les voiles d’hivernage sur un ou plusieurs rangs. Les résultats sont plutôt bons selon la chambre mais les dispositifs doivent encore être améliorés notamment en ce qui concerne la résistance des toiles pour éviter tout déchirement avec le vent ou ne pas créer de point de contact avec les bourgeons. Dans de nombreuses parcelles, les baguettes sont aussi restées en l’air mais sur la méthode, les retours sont mitigés. « On entend de tout », indique Mathieu Jehanno. « L’efficacité n’est pas réellement prouvée, et cela peut créer des problèmes d’acrotonie plus tard dans la saison, une absence de démarrage ou un démarrage tardif de la base de la baguette avec à la clé une perte potentielle de récolte sur les bourgeons du bas de baguette. L’une des difficultés, c’est aussi d’organiser certains travaux comme le relevage à cause de l’hétérogénéité du développement des bourgeons. Sans compter les conséquences en termes de charge de travail. Il faut le personnel disponible pour tout plier avant de démarrer les travaux. »

Un maître mot : l’adaptation
Quelques soient les solutions, les outils de protection seront à l’avenir de plus en plus nombreux dans les vignes, les gelées printanières étant désormais fréquentes. Les carnets de commandes des fournisseurs sont d’ailleurs bien remplis même si la conjoncture et l’inflation pourraient contraindre certains domaines à renoncer ou à repousser leurs investissements. Pour être rentable, la protection contre le gel nécessite donc une bonne valorisation de sa production.
Au-delà de la protection, les exploitants doivent surtout s’adapter : au réchauffement et au changement climatique, à l’évolution des pratiques culturales tout comme à l’évolution des modes de consommation. Pour y faire face, des accompagnements et des aides sont possibles. A défaut de pouvoir bénéficier des subventions au renouvellement des équipements pour changement climatique désormais clos, FranceAgrimer a mis en place un programme d’aide à l’achat de matériel permettant de réduire l’usage des intrants. Des formations au changement climatique sont également mises en place par la chambre. Comme face au gel, la mobilisation doit être collective et globale pour sécuriser les productions et préserver les entreprises. Une réflexion plus profonde sur la régularité de l’approvisionnement et la gestion des stocks doit par ailleurs être engagée à l’échelle des domaines mais aussi des appellations. Choix du porte-greffe, ouverture à des cépages résistants, conduite du vignoble, etc., toutes les pistes sont ouvertes.