Se réinventer pour vendre (2e partie)
Deuxième volet de notre grand format consacré à l’adaptation des domaines viticoles à la crise sanitaire. Si le digital a pris un essor considérable depuis un an, il n’a pas totalement remplacé les échanges humains. Au contraire, les consommateurs n’ont jamais autant plébiscité les circuits courts. Une opportunité à saisir pour les vignerons. Certains l’ont bien compris et ont opté pour de nouvelles implantations pour renforcer leur proximité avec la clientèle.
Ce sont des rendez-vous immanquables, peut-être même une tradition. Tous les ans, les mois de janvier et février sont animés par les salons des vins. On y rencontre ses clients, on démarche des prospects, on y fait déguster ses nouvelles cuvées. Mais pas cette année. Avec la crise sanitaire, le calendrier des salons professionnels a été bouleversé voire même considérablement allégé. Un temps reporté en avril, le Salon des Vins de Loire à Angers est finalement annulé tout comme la Levée de la Loire et le Salon Demeter. Wine Paris, également programmé en février, est décalé à la mi-juin mais sans certitudes sur la levée des restrictions sanitaires actuellement en vigueur. Pour tenter de maintenir un rendez-vous et permettre la rencontre entre les producteurs et leurs clients, certains salons ont donc opté pour une version digitale. C’est le cas de Millésime Bio. Du 25 au 27 janvier, 1 000 exposants ont pu échanger à distance avec quelques 3 000 clients. Chaque exploitation disposait d’un stand virtuel pour présenter son domaine et ses vins avec des fiches techniques, des photos et vidéos. Aux visiteurs ensuite de les contacter via un système de chat ou en visioconférence. Pour Sébastien Branger, vigneron sur 30 hectares à Maisdon-sur-Sèvre, cette première expérience a été plutôt positive. « C’était un bon moyen de garder le contact avec nos clients et d’en avoir de nouveaux. En revanche, l’inconvénient est qu’il faut rester disponible au bureau pendant 3 jours pour ne pas risquer de perdre une demande de contact. J’aurais peut-être dû aussi mieux préparer le salon en amont, en prévenant mes clients de ma participation. » Le domaine de la Fessardière, 25 ha à Vallet, avait lui volontairement opté pour une préparation minimale. « Nous avons profité du début d’année pour contacter nos clients habituels sans attendre le salon. Nous avons tout de même eu trois rendez-vous, dont un en visio avec un client américain. C’était d’ailleurs intéressant car nous avons pu lui montrer les vignes, le chai, lui faire visiter le domaine », témoigne Emeline Bergeron.
Un élément manque toutefois à ces rendez-vous virtuels : le temps de la dégustation. Si les vignerons peuvent envoyer des échantillons à leurs prospects, cela ne remplace pas la convivialité des salons physiques. Pour répondre un peu plus à cette demande, le salon HopWine, créé en 2020 lors du 1er confinement, s’appuie sur l’envoi d’échantillons de 2 cl aux acheteurs professionnels. L’ensemble de la logistique est assuré par le salon qui reconditionne le vin dans des Vinottes® et se charge de l’envoi des coffrets d’échantillons. Un concept qui plaît aussi bien aux exposants qu’aux visiteurs. A tel point que depuis janvier, un salon virtuel est organisé tous les mois avec des thématiques différentes comme en février avec la « Green Week ». La 3e et prochaine édition est prévue du 15 au 19 mars et affiche complet. Une 4e est prévue du 19 au 23 avril. Pour Millésime Bio, une 2e session est également programmée les 18 et 19 mars, signe de l’intérêt des professionnels pour ce type de manifestation.
La grande distribution en soutien
Si la pandémie a perturbé les agendas professionnels, elle a aussi affecté les différents circuits de distribution, notamment le CHR mais aussi, et surtout pendant le 1er confinement, la vente directe. « Au printemps dernier, j’ai reçu pas mal d’appels de vignerons qui cherchaient de nouveaux débouchés », relate Fabien Vignal, conseiller en commercialisation circuits courts à la Chambre d’agriculture de Loire-Atlantique. « Il y a eu des mises en relations avec la grande distribution. Avec la CCI, cela nous a donné envie aller plus loin. Une charte d’engagement a alors été réalisée pour rapprocher les producteurs de la grande distribution. » Signée début décembre par les enseignes Carrefour, Leclerc, Système U, Auchan, Intermarché, la Chambre de Commerce et d’Industrie et la Chambre d’agriculture de Loire-Atlantique, cette charte vise à développer l’offre locale en magasin, à accompagner les producteurs pour répondre aux besoins des enseignes et à proposer une politique de prix partagée pour satisfaire les deux parties. Signataire de cette charte, Pascal Claret, directeur des Super U de Carquefou et La Chapelle-sur-Erdre, concède toutefois « ne pas avoir attendu le Covid pour travailler avec les producteurs locaux. Cela fait des années que nous travaillons avec les agriculteurs de proximité. » Dans son magasin de Carquefou, pas moins de 14 domaines du Muscadet sont référencés, 5 par la centrale et 9 en direct magasin. « Nous en avons notamment 3 avec qui nous travaillons depuis un an, mais ce n’est pas lié à la crise. Nous avions une demande des clients pour avoir une profondeur de gamme plus importante. »
Pour tous ces vignerons, la porte d’entrée a été le magasin de proximité. Et c’est l’un des objectifs de la charte d’engagement : permettre à tous les agriculteurs souhaitant être référencés de rencontrer les responsables des enseignes et à obtenir une réponse sous un délai d’un mois. Pour tous, le processus sera alors le même que celui appliqué en temps normal. « On déguste le produit, on regarde s’il correspond aux attentes des consommateurs, s’il respecte le cahier des charges de l’enseigne et on se met d’accord sur le prix de vente », indique Pascal Claret. Un contrat est alors signé pour un an, un délai suffisant « pour se laisser de la latitude et se donner la capacité de monter en puissance ». En cas d’engouement des consommateurs, le produit pourra ensuite proposé à la centrale d’achat pour être référencé en région. Les contrats sont alors plus longs, 2 à 5 ans. Pascal Clarat l’affirme, sa porte « n’est jamais fermée » aux nouveaux producteurs. Il rappelle toutefois que « le seul décideur c’est le client. On défend nos agriculteurs, on les accompagne. Depuis le début de la crise nous avons proposé à nos fournisseurs de prendre un peu plus de volumes, de faire des animations pour pousser les produits. Cela a permis de les aider mais pas au point de compenser leurs pertes sur d’autres marchés. »
Les magasins de producteurs boostés par les confinements
Cet engagement de la grande distribution pour l’agriculture est-il en train de transformer le circuit-court, terme autrefois associé aux ventes à la ferme ou sur les marchés ? Oui, selon Fabien Vignal. « La demande en produits de proximité est une tendance de fond depuis quelques années et les événements de 2020 n’ont fait qu’accélérer les choses. Pour y répondre, il faudra passer par des intermédiaires et la GMS en fait partie. » Pourtant depuis quelques années, des agriculteurs ont aussi pris en main leur commercialisation. Des magasins de producteurs ont ainsi essaimé sur le territoire. En 2016, « La Ferme de Chez nous » a ouvert ses portes à Mouzillon à l’initiative de 4 producteurs et 10 vignerons. Depuis, la fréquentation ne cesse d’augmenter. « Nous avons progressé en nombre de clients et au niveau du panier moyen », témoigne Christian Luneau, l’un des vignerons engagés. « Avec le confinement, cela a été encore plus net. La limitation des déplacements a permis à de nouveaux clients de nous découvrir. Nous avons enregistré une hausse du chiffre d’affaires de 35 %. Depuis, cela s’est un peu tassé mais nous avons gardé 10 % de nouveaux clients. » Née il y a 10 ans, « La Ferme de Chez nous » compte aujourd’hui 4 magasins en Maine-et-Loire, Loire-Atlantique et Vendée avec un concept identique : proposer des produits issus d’exploitations situées à moins de 100 km du magasin. Une proximité qui fait son succès ainsi que la relation, directe, avec les producteurs. Ils se relayent en effet pour aider à la vente et organisent des animations. « Malheureusement avec le Covid, nous ne pouvons plus faire de dégustations. Nous avions également prévu une foire aux vins qui n’a pu avoir lieu », regrette Chistian Luneau. Leur présence dans le magasin n’a en revanche pas d’impact sur la fréquentation des domaines. « Les retombées sont minimes en termes de visites. Les gens aiment bien changer, goûter les autres vins », note le viticulteur.
Les caves quittent les vignes pour la ville
A défaut de faire venir les clients au domaine, des vignerons ont fait le pari d’aller à leur rencontre. A Ancenis, le domaine Landron-Chartier, implanté en bio sur 30 ha à Ligné et Saint-Géron, a ouvert le 1er décembre dernier une boutique dans le centre-ville, juste en face des Halles. Un emplacement idéal et un investissement raisonnable. « Nous n’avions pas la possibilité de faire des travaux à Ligné, ni la place à Saint-Géréon », explique Anthony Godicheau, responsable des ventes du domaine. « Ce local commercial était disponible et nous permettait de nous inscrire dans le dynamisme de la ville. » Locataire des lieux, le domaine a dépensé moins de 10 000 € pour aménager cet espace de 60 m² qui n’est « pas juste une cave. On a voulu en faire un lieu vivant et pédagogique », précise Anthony. Un espace dégustation a été aménagé au fond de la boutique et un espace sensoriel a été réalisé pour découvrir l’histoire des Coteaux d’Ancenis par l’odorat, l’ouïe ou encore le toucher. Trois mois après son ouverture, le bilan est positif. « Nous avons eu beaucoup de monde au moment des fêtes et janvier a été plutôt bon avec l’accord galette des rois/Coteaux d’Ancenis. La plupart des clients ne nous connaissaient pas. On s’est aperçus que l’on était finalement plus connus sur Nantes que sur notre territoire ! », sourit le responsable du magasin. Quand le contexte le permettra, il proposera des ateliers œnologiques et prévoit également d’organiser un circuit œnotouristique à vélo depuis la boutique jusqu’aux vignes.
A Vallet, le Château Guipière dispose de tous les aménagements nécessaires pour recevoir ses clients au domaine mais il a lui aussi choisi d’aller à leur rencontre. L’été dernier, il a ouvert une boutique à Saint-Brévin-les-Pins, tout près des plages. « Il s’agissait d’un espace de vente éphémère, juste pour la saison estivale. Je savais que certains domaines le faisaient et cela avait valeur de test », déclare Philippe Nevoux, propriétaire du domaine. L’expérience a été concluante avec un chiffre d’affaires de près de 30 000 € sur la saison mais auprès d’une clientèle touristique et donc passagère. A la fin de l’été Philippe Nevoux a fermé ce point de vente pour en ouvrir un autre à la Baule, rue Lajarrige, la plus commerçante de la ville. « C’est une cave classique où on retrouve d’autres vins et spiritueux mais avec un gros corner des vins du domaine. L’idée est que chaque client reparte avec un produit du Château et ça fonctionne ! » La clientèle est locale mais aussi nantaise et parisienne du fait des résidences secondaires. Convaincu par ce modèle économique, Philippe Nevoux prévoit d’ouvrir une autre boutique à Nantes d’ici la fin de l’année et de développer un réseau de caves sur le littoral. Des projets qui se seraient réalisés crise sanitaire ou non. « Quand on reprend un domaine qui n’a pas d’activité commerciale, ce n’est pas évident de trouver sa place sur le marché. Ouvrir un magasin est une façon de vendre notre production sans la brader. » Une façon aussi de multiplier les débouchés, le domaine, autrefois tourné vers le négoce, étant aujourd’hui également présent chez les cavistes, la grande distribution et à l’export.
Modifier ses circuits de distribution, développer la vente directe ou la vente en ligne, aller à la rencontre des clients, etc., il n’existe pas « une » solution pour maintenir ou accroître son chiffre d’affaires. Fabien Vignal, conseiller en circuits courts à la Chambre d’agriculture va même plus loin : « Aux vignerons d’être inventifs. On peut imaginer organiser des dégustations à domicile, des animations dans les campings, travailler avec les comités d’entreprises ou proposer des box. Nous avons aussi la chance, en Loire-Atlantique, d’être dans un département touristique. C’est donc important de se faire connaître en local. » Pour le conseiller, le territoire est également « riche en termes de produits mais il y a très peu de relations entre les producteurs. On pourrait imaginer des ventes croisées entre des producteurs de viande, de fruits ou autres, et les vignerons. » D’autant que la période, malgré ses contraintes, est favorable au consommer local. « Par le passé, parler de souveraineté alimentaire faisait sourire. Aujourd’hui, ce terme prend tout son sens et ne profite pas qu’aux agriculteurs bio. Les consommateurs se posent des questions, veulent savoir d’où viennent ce qu’ils achètent et comment ils sont produits. Et ils veulent soutenir l’économie locale. » Ce qui était autrefois une tendance est devenue une réalité qui ne devrait pas disparaître à la fin de la crise sanitaire. Une crise qui aura au moins eu le mérite de mettre en lumière la capacité de résilience des vignerons et plus largement du monde agricole.