Investir dans le vignoble : les enjeux du foncier (Partie 1)
Chaque année, une poignée d’exploitants s’installe en viticulture en Loire-Atlantique. Si la majorité l’opère dans un cadre familial, d’autres sont séduits par le renouveau du vignoble et de son appellation phare le Muscadet. Une dynamique valorisante pour l’AOC mais parfois rendue difficile par la typologie des biens à la vente. La transmission et la gestion du foncier font pourtant partie des chantiers prioritaires de la filière. Quel est le type de domaine actuellement à la vente ? A quel prix ? Pour quels acquéreurs ? Comment préserver la vigne face à une urbanisation croissante ? Autant de questions abordées dans le « Grand Format » de ce mois de novembre et dans celui de décembre.
« Domaine de 48 hectares, fonctionnel et dynamique », « Exploitation de 38 hectares entre Nantes et la côte », « Domaine dynamique de 53 hectares avec crus communaux », « Beau domaine de 30 ha en agriculture raisonnée à transmettre ». Sur les sites internet spécialisés, les annonces d’exploitations viticoles à vendre dans le vignoble de Nantes ne manquent pas. Il n’y a pas pléthore non plus mais « le marché est actif », reconnaît Alain Paineau, agent commercial chez Quatuor Vignobles. « On entend souvent dire que tout est en vente mais finalement il y assez peu de domaines identifiés. Côté acquéreurs j’ai des demandes, des visites. Il y a toujours un flux. » Du côté d’Ampelio, autre agence ligérienne spécialisée dans la vente d’exploitations viticoles, Marine Boudignon partage ce constat d’attractivité du Muscadet. « Ces dernières années nous avions peu de demandes pour le Muscadet mais depuis un an, elles sont plus nombreuses. Nous sommes donc repartis en prospection. Nous avons un très bon accueil de la part des vignerons. Ils sont même plutôt étonnés qu’on les appelle. »
Agences, RDI, SAFER : qui fait quoi ?
Dans ce marché de l’immobilier et du foncier, plusieurs acteurs interviennent et se complètent. Les agences immobilières comme Quatuor Vignobles et Ampelio accompagnent les vendeurs dans leurs projets, de l’estimation à la signature chez le notaire, mais également les acquéreurs à la recherche d’un bien. Le RDI, répertoire départ-installation, est lui un outil de la Chambre d’agriculture pour mettre en relation cédants et candidats à l’installation. Les cédants ou exploitants à la recherche d’associé(s) s’y inscrivent via un conseiller installation-transmission qui fait le point sur leur projet, publie, s’ils le souhaitent, leur annonce sur le site internet du RDI, et les accompagne dans la réalisation de la transaction. Enfin la SAFER, société d’aménagement foncier et d’établissement rural, intervient quant à elle dans toute transaction, qu’il s’agisse de la vente de parcelles, d’une exploitation complète ou de la cession de parts sociales. Avec une particularité : la SAFER est informée de chaque vente et publie un appel à candidatures. Celles-ci sont ensuite étudiées puis validées ou non par un comité technique départemental réunissant différents acteurs (représentants syndicaux, élus, notaires…).
Toute vente, y compris celles suivies par des agences immobilières, est communiquée à la SAFER. Dans sa mission de transparence du marché, la société est informée de toutes les transactions par les notaires. Elle veille ainsi à ce que les terres agricoles le restent et s’assure de la qualité de la personne qui les exploite. Pour cela et en l’absence d’un accord avec le cédant, elle dispose de deux outils, parfois redoutés : le droit de préemption qui lui permet d’acheter un bien en priorité et de le revendre à un autre bénéficiaire choisi par le comité technique départemental, et le droit de préférence qui, inscrit au cahier des charges des ventes suivies par la SAFER, impose au cédant d’informer la société d’aménagement de son projet de vente, et ce dans un délai de 10 voire 15 ans après son acquisition. « Le droit de préemption reste peu utilisé. Nous privilégions la concertation », assure toutefois Xavier Chiron, conseiller foncier à la SAFER Pays de la Loire.
Des candidats à l’installation aux profils variés
Boosté par la dynamique des crus communaux et la recherche permanente de qualité menée par les vignerons, le vignoble de Nantes profite depuis quelques années d’un regain d’intérêt, en particulier de la part de quadra/quinquagénaires en reconversion professionnelle. « Mes deux dernières ventes sont des reconversions. Il y a très peu d’investisseurs purs », confirme Alain Paineau, de Quatuor Vignobles. Marine Boudignon d’Ampelio note pour sa part une volonté de s’installer chez les salariés de la filière. « Ils ont entre 25 et 40 ans avec 5 à 10 ans d’expérience dans d’autres régions. Ils ont un budget familial ou pas de budget. Ils sont convaincus par les vins du Muscadet. Le fait d’avoir des vins de pays sur une exploitation est aussi un atout parce que l’on crée une gamme de vins. Enfin la proximité de Nantes fait que l’on a un bassin économique attractif. » Le Point Accueil Installation de la Chambre d’agriculture a lui aussi constaté une fréquentation plus importante ces derniers temps. Une trentaine de porteurs de projets, âgés en moyenne de 30 à 35 ans, s’y sont présentés depuis le début de l’année dont un tiers seulement ayant un projet d’installation dans un cadre familial. « La plupart sont identifiés au niveau du RDI et sont plutôt à la recherche de petites surfaces avec le projet de convertir en bio les surfaces de vignes, avec dans l’idéal des bâtiments adaptés. Ces candidats ont souvent autour de 40 ans et en projet de reconversion professionnelle », précise Christian Delair, conseiller d’entreprise transmission à la Chambre d’agriculture.
Recherche exploitation en ordre de marche
Petite, moyenne ou grandes surfaces, les candidats à l’installation ou à la reprise n’ont pas tous les mêmes projets, ni les mêmes ambitions. Alain Paineau distingue deux types de produits particulièrement recherchés. « Il y a d’un côté l’entreprise dynamique économiquement avec des bonnes ventes et un bon état général. Et de l’autre, l’entreprise un peu moins dynamique mais qui dispose de bâtiments et de vignes en excellent état et avec un terroir intéressant. » Pour Marine Boudignon, « ce qui est recherché, ce sont des exploitations en ordre de marche. Si une entreprise viticole a des vignes en bon état, du matériel qui a été régulièrement investi, des ressources humaines et une base de distribution, qu’elle fasse 5 ou 50 hectares, elle se vend. Ce n’est ni une question de surface, ni une question de budget. » Le coût reste toutefois un élément intéressant pour les repreneurs. De 21 000 € il y a 20 ans, le prix à l’hectare en Sèvre et Maine est descendu à 9 000 € en 2011. Depuis 4 ans on observe une certaine stabilité, entre 10 et 12 000 € de l’hectare, ce qui fait du vignoble de Nantes l’un des moins chers de France en appellation. En comparaison, un hectare en Anjou se négocie autour de 15 000 €, entre 50 et 60 000 € à Saint-Nicolas de Bourgueil et aux alentours d’un million d’euros en Champagne*.
Si la santé économique d’une entreprise, sa segmentation et sa localisation justifient son prix, la typologie des offres influe également. Certains biens sont en effet vendus sans caveau, une réelle problématique dans le Muscadet observe Marine Boudignon. « On a beaucoup de caves dans des villages. Se pose alors la question de vendre ou non. Soit on vend au prix d’un bâtiment agricole, soit on vend au prix de l’immobilier dans un PLU (plan local d’urbanisme, ndlr) à venir ou déjà installé. Il y a des dossiers où il n’y a pas de cave car le vendeur veut garder son immobilier pour en tirer un revenu patrimonial. Ce qui m’étonne d’un côté parce qu’il y a une volonté de transmettre mais que je peux aussi comprendre parce que c’est plus intéressant d’un point de vue financier. Mais cela peut bloquer des dossiers car le repreneur doit ensuite retrouver un lieu où construire son chai. »
Freiner la déprise
La gestion du foncier bâti n’est d’ailleurs pas la seule ombre au tableau du vignoble de Nantes. C’est même plutôt la conséquence d’un phénomène accentué ces dernières années par les aléas climatiques et les difficultés économiques. « A l’approche de la retraite, certains vignerons ne cherchent même pas à céder, ils arrêtent », constate Marine Boudignon. « C’est humainement compréhensible. Il y a eu le gel, il y a maintenant le Covid… Mais c’est dommage car il y a des jolies choses à transmettre. » Les exploitations disparaissent, le matériel est vendu. « Les vignes sont quant à elles soient reprises par des collègues, soient abandonnées pour celles situées dans les secteurs gélifs », observe Xavier Chiron, conseiller foncier à la SAFER Pays de la Loire. « Les parcelles en location sont laissées à leurs propriétaires. Celles qui sont sur des terroirs intéressants sont reprises par des voisins et toujours recherchées. C’est ce qui permet de maintenir des prix sur la valeur des vignes. En revanche les parcelles dans les bas, gélives, n’ont pas de repreneurs. L’orientation c’est l’arrachage ou une autre activité agricole ». En 10 ans, le vignoble de Nantes a perdu plusieurs milliers d’hectares. En Muscadet, les surfaces revendiquées sont passées de 11 320 ha en 2009 à 7 655 ha en 2019, soit 3 665 hectares de moins en une décennie. Avec le risque aussi que ces vignes soient laissées en friches. C’est d’ailleurs l’enjeu de la filière pour les années à venir. Maîtriser le foncier viticole pour inciter à la transmission et favoriser les installations. La montée en gamme du Muscadet, soulignée et reconnue depuis quelques années, ne tient pas seulement au travail réalisé à la vigne et au chai. Elle repose aussi sur la préservation de son terroir. Des vignerons l’ont bien compris. Des néo-vignerons aussi. C’est ce que nous verrons dans notre prochain « Grand Format ».
*Données issues du barème indicatif de la valeur vénale des terres élaboré par les Safer.