Emploi : Qui sont les salariés de la viticulture nantaise ?
En mars dernier nous vous proposions un grand format sur l’emploi et les besoins en main d’œuvre en viticulture. Nous reprenons aujourd’hui ce dossier, suspendu en raison de la crise sanitaire, avec un coup de projecteur sur celles et ceux qui œuvrent aux côtés des vignerons du Muscadet. Salariés des exploitations, ils témoignent de leur parcours et de leur expérience.
Le premier volet de notre dossier sur l’emploi faisait état de 859 équivalents temps plein en viticulture en Loire-Atlantique (chiffre 2018) pour environ 500 exploitations. Si les contrats saisonniers sont nombreux, ils sont 488 à être salariés à temps plein. Ouvrier viticole, chef de culture, œnologue, commercial, secrétaire administrative, chargé d’œnotourisme, tractoriste, etc., les postes sont variés mais aussi souvent polyvalents. Nous vous proposons d’en savoir plus sur ces salariés qui participent à la vie des exploitations et contribuent au développement des Vins de Nantes en France et dans le monde.
Emeline Billaud, 26 ans, assistance administrative, commerciale et œnotourisme
Domaine R de la Grange, Le Landreau
« Je suis salariée du Domaine Raphaël Luneau depuis un peu de plus de deux ans. J’ai trouvé ce poste après plusieurs mois de recherches. Après une licence en Langues Étrangères Appliquées, j’avais cette envie de travailler dans l’œnotourisme mais je manquais de connaissances sur le vin, l’œnologie. J’ai donc poursuivi avec une licence professionnelle œnotourisme à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de Bordeaux. J’ai terminé mes études en septembre 2016, autant dire que la période était compliquée pour trouver un travail, sachant qu’étant originaire de Vendée, je cherchais un poste dans le Val de Loire. Pendant quelques mois, j’ai travaillé dans un autre secteur puis j’ai été embauchée pour la saison touristique dans un domaine viticole en Vendée. J’ai ensuite passé 6 mois au chômage à envoyer des candidatures dans plusieurs domaines, à rencontrer des vignerons sur des salons. Je cherchais un poste polyvalent, qui ne consiste pas uniquement à faire des visites. J’ai passé des entretiens mais souvent on me reprochait mon manque d’expérience. C’est finalement en passant une petite annonce dans le magazine « Le Vigneron du Val de Loire » que j’ai trouvé du travail. J’ai reçu 4 à 5 propositions. Je n’y aurais jamais pensé ! Raphaël Luneau cherchait quelqu’un et m’a appelée. J’ai passé l’entretien fin février 2018 et j’ai commencé début avril. Dans un premier temps pour un CDD de 6 mois qui a fait office de période d’essai puis en CDI. Côté salaire, j’ai commencé au SMIC, depuis mon salaire a été revalorisé. Dans ce secteur, en France, un poste similaire en œnotourisme est rémunéré environ 1500 € net par mois.
Mon poste consiste à gérer l’œnotourisme, la relation clients mais aussi l’administratif. Je ne m’ennuie pas ! Je ne fais jamais la même chose et ça m’a aussi beaucoup appris. Avant de travailler ici, je n’avais jamais fait de comptabilité ou géré un fichier client par exemple. J’ai aussi travaillé dans les vignes, notamment pendant le confinement. Pendant les vendanges je suis les fermentations, je participe aussi à la mise en bouteille. Ça me plaît beaucoup et pendant les visites, je raconte mon vécu. Ce n’est pas un discours appris par cœur. Je pense que cela se ressent auprès des visiteurs qui apprécient cette transparence.
Être polyvalente m’oblige à prioriser les choses. L’administratif passe en premier. Il faut aussi préparer les livraisons, appeler les clients, préparer les salons même si personnellement je n’y vais pas. Ça me laisse moins de temps pour développer l’œnotourisme. Depuis mon arrivée, nous avons mis en place une offre de visite tarifée. Nous avons également organisé un dîner à l’aveugle dans le cadre des Caves étonNantes cet été. Cela a très bien fonctionné et c’est une animation que j’aimerais renouveler. Nous participons aussi aux Muscadétours depuis 2019 et nous sommes également en partenariat avec la Toue de Nantes pour des croisières repas/dégustation. Nous accueillons aussi une clientèle étrangère par le biais de Nantes Wine Tour, partenaire de longue date. Tout cela nous permet de bénéficier d’une communication globale. En termes de communication justement, je m’occupe aussi des réseaux sociaux, Facebook et Instagram, ainsi que de la gestion du site internet.
J’aime ce que je fais même si je ne peux pas me dédoubler ! Prochainement, j’aimerais bien développer des animations à la cave avec de petits groupes. A l’avenir, une autre personne sera probablement nécessaire à mes côtés pour mieux développer l’œnotourisme. Pour le moment, deux emplois à temps plein ne seraient pas envisageables, mais pourquoi pas un/une stagiaire ou une personne en alternance. Dans ce métier, il faut accepter de faire des choses qui n’étaient pas prévues au départ mais qui finalement plaisent et permettent d’enrichir ses compétences et son expérience. »
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Mickaël Brisset, 41 ans, chef de culture
Domaine des Hautes-Noëlles, Saint-Léger-les-Vignes
« Cela va bientôt faire 10 ans que je travaille aux Hautes-Noëlles. J’y suis arrivé en 2011 après avoir travaillé pendant 6 ans dans le Roussillon. J’étais à l’époque moniteur d’atelier dans un ESAT, un établissement et service d’aide par le travail avec une partie travail de la vigne. J’avais laissé mon CV sur Vitijob et Jean-Pierre-Guédon, qui venait de reprendre le domaine, m’a contacté. Ça s’est fait comme ça, sans que je postule. Il y a toujours beaucoup d’offres sur des postes comme ça.
J’ai commencé comme maître de chai. Ma formation initiale était axée sur l’œnologie, ayant fait un BTS Viti-oeno en alternance à Montreuil-Bellay, puis un diplôme national d’œnologie à Bordeaux. En 2014, le chef de culture du domaine est parti et Jean-Pierre-Guédon a eu du mal à trouver un remplaçant. J’ai alors pris en charge l’ensemble de la partie technique. Mon métier consiste à gérer tout ce qui touche à la vigne et au vin. Cela va de la taille jusqu’à la mise en bouteille. Je travaille en équipe avec un œnologue et un autre salarié que j’ai formé.
Le métier de chef de culture est peu connu du grand public et quand j’explique aux gens ce que je fais, ça leur paraît compliqué. C’est un métier physique par moment, on travaille en extérieur et souvent 45 heures par semaine même s’il y a des périodes de l’année un peu plus calmes. Plus jeune, je ne pensais pas non plus travailler à la vigne. J’y avais un peu touché lors de mon apprentissage mais lorsque je suis arrivée dans le Roussillon, j’ai dû m’y mettre d’autant plus que j’étais seul. J’ai un peu appris sur le tas. Avec le temps, l’expérience, on progresse. Il faut toujours s’adapter.
Au Domaine nous testons régulièrement de nouvelles techniques. Nous faisons d’ailleurs partie du groupe Dephy de la Chambre d’agriculture depuis 2011. Cette année nous avons expérimenté un nouveau procédé de compost pour lutter contre le mildiou. Nous allons également faire des essais de couvert permanent pour limiter l’entretien du sol.
En presque 10 ans, j’ai vu le domaine évoluer. On a travaillé sur la gamme. Elle est plus étoffée aujourd’hui avec 17 cuvées contre une dizaine auparavant. Nous venons également de planter de nouveaux cépages, l’Egiodola et du Floréal. L’exploitation s’est aussi agrandie, passant de 24 hectares en 2011 à 28 ha aujourd’hui, et de 3 à 4 salariés. Et puis il y a eu la conversion au bio. Aujourd’hui l’ensemble des blancs sont en bio et les rouges sont en début de conversion. D’autres projets sont prévus, liés à l’arrivée de Jean-Gabriel et Juliane Tridon, les nouveaux propriétaires. La cession s’est faite au printemps dernier. On s’est un peu interrogés sur ce qu’ils allaient prendre en main mais finalement, même s’il y a quelques changements d’orientations, notre travail reste le même.
Je ne suis pas inquiet pour l’avenir, ni pour mon métier, ni pour la viticulture. Dans le Muscadet il y a une nouvelle génération de vignerons avec des idées nouvelles et la volonté de faire des vins différents pour attirer les consommateurs. Les modes de commercialisation ont aussi changé, le 100 % négoce n’existe plus. Je ne sais pas où je serai dans 10 ans mais pour l’instant je suis bien ici. »
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Dominic Gore, 37 ans, chargé de développement commercial et ouvrier viticole
Jardin d’Edouard, Château-Thébaud
« C’est mon envie de découvrir le travail dans les vignes qui m’a conduit ici. Je suis anglais par mon père, irlandais par ma mère, et dans ma famille nous avons toujours eu l’habitude de servir du vin à table, notamment du Muscadet Sèvre et Maine sur lie. C’est un vin très connu en Irlande même s’il a pendant un temps été passé de mode. Aujourd’hui, il progresse notamment grâce aux crus communaux.
L’envie de travailler dans le vin est venue assez tard, vers 22 ans. J’ai commencé comme sommelier sur des bateaux de croisière, puis travaillé dans des bars et hôtels, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni. Je suis ensuite devenu caviste à Dublin. En 2013, j’ai obtenu un diplôme W.S.E.T (Wine & Spirit Education Trust) afin de valider mes connaissances sur les vins et spiritueux. Mais après 8 ans à vendre les vins, j’avais envie de travailler en extérieur et découvrir la production. C’est une amie qui m’a parlé du Jardin d’Edouard. Je suis arrivé en janvier 2019 en parlant un peu le français. J’ai commencé par la taille, j’ai fait les vendanges et puis Edouard m’a demandé de rester pour développer le commerce et notamment l’export. Aujourd’hui je suis en CDI et je partage mon temps entre le travail à la vigne et le commerce. Je fais les visites, les dégustations, les salons. Je travaille aussi de temps en temps chez Eric Poiron à Maisdon-sur-Sèvre quand il a besoin d’aide à la vigne.
J’aime ce que je fais même si je gagne moins d’argent que lorsque j’étais caviste. J’aimerais bien me former davantage, peut-être faire un BTS viti-oeno, apprendre aussi à conduire le tracteur pour travailler avec dans les vignes. Nous avons aussi du travail sur l’export. L’objectif est de développer le marché américain. L’Irlande aussi. Ça peut être un bon marché pour le Muscadet. En tout cas mon avenir, je le vois en France. »