Journal de Bord
Tous les articles
Grand format

Restauration et viticulture, destins liés

Très proche des producteurs, Nicolas Barbou, sommelier du restaurant Marius à Pornic, leur rend régulièrement visite. En juin, il était chez Jo Landron à La Haye-Fouassière avec une partie de son équipe.

Au fil des années le Muscadet a su s’imposer sur les cartes des vins des restaurants nantais. Si ce challenge est permanent, il est aussi étroitement lié à la santé des établissements bistro et gastronomiques. Fortement touché par la crise sanitaire et le confinement, le secteur de la restauration se relève doucement. Il peut d’ailleurs compter sur le soutien de la viticulture nantaise, qui malgré une perte de chiffre d’affaires, travaille à ses côtés à la relance.

Un midi de juin en plein de centre de Nantes. Le soleil et la chaleur sont au rendez-vous mais malgré la météo estivale, les terrasses des restaurants de la rue Fourré sont loin d’être bondées. « Globalement on observe une baisse de fréquentation au déjeuner due à la poursuite du télétravail, en particulier dans les quartiers où d’ordinaire il y a des déjeuners d’affaires ou des repas entre collègues », note Richard Baussay, chargé de promotion culinaire au Voyage à Nantes. « En revanche, on a de bons signaux pour le soir. On a une belle fréquentation et les clients se font davantage plaisir, sur le vin notamment. Mais c’est loin de compenser le manque à gagner du midi et la perte de tables pour ceux qui ont du réduire le nombre de couverts. » Pour Gigi, spécialiste de l’événementiel culinaire et co-présidente de l’é.Paulée nantaise, les mesures barrières freinent aussi la reprise. « Le port du masque est très difficile à supporter pour les équipes, surtout en cuisine. Tous avaient très envie de se mettre au travail mais ils ont été coupés dans leur élan par les mesures à respecter. On récoltera les dégâts de tout cela à l’automne. On verra ceux qui ont réussi à résister. »

Malgré une météo estivale, les terrasses de la rue Fourré n’affichent pas complet.

Le 14 mars dernier à minuit, tous les établissements ont fermé leurs portes. Au départ pour deux semaines, sans imaginer que cela allait durer près de trois mois. « Ça a été brutal », se souvient Nicolas Barbou, sommelier chez Marius à Pornic. « On ne s’y attendait pas, on l’a appris par des clients. On a fermé à minuit. On s’est retrouvés le lendemain pour faire l’inventaire des produits et des vins et on est rentrés chez nous. » Pour les viticulteurs aussi, le confinement a mis un coup d’arrêt au commerce avec une perte de chiffre d’affaires de 50 à 80 % sur la période. A Château-Thébaud, la Famille Lieubeau a perdu « la moitié du chiffre d’affaires sur mars, avril et mai, principalement lié à la restauration qui représente 60 % de nos ventes », note François Lieubeau. « On a quand même continué d’expédier nos vins, vers des cavistes ou des marchés de monopole. Notre diversité de marchés nous a rendu résiliant. » A La Haye-Fouassière, le domaine Landron a lui aussi pu maintenir une activité commerciale. « On a toujours eu un flux de commandes, avec les cavistes notamment. On est présents chez 25 cavistes sur Nantes et ils ont très bien travaillé pendant le confinement. On a aussi travaillé à l’export avec la Suède, l’Allemagne, l’Autriche et la Grèce. On a limité les pertes même si le chiffre n’est pas du tout le même que d’habitude », indique Carole Bretin, responsable commerciale du domaine.

Confinés mais soudés
Si le confinement a paralysé l’activité commerciale, il n’a pas stoppé les relations humaines, bien au contraire. Restaurateurs comme vignerons ont profité de cette « pause » pour entretenir leurs échanges. « J’ai fait pas mal de visioconférences avec quelques clients à l’étranger et des partenaires de longue date » reconnaît François Lieubeau. « Ce n’était pas tant pour mettre en place des actions que pour rester au contact. » Traiteurs et chefs à domicile, Jean-Charles et Aurélie Batard sont quant à eux venus prêter main forte aux vignerons pendant la période critique des gelées printanières. « Nous habitons au Pallet et cela nous a rapproché de nos voisins vignerons. On a aidé à allumer des bougies la nuit en mode solidaire. » Pour Nicolas Barbou, ces semaines de confinement lui ont permis de partager sa passion sur les réseaux sociaux. Par des live et des MasterClass, le jeune sommelier a transmis ses connaissances aux internautes, notamment sur le Muscadet dont il est un fervent ambassadeur. « J’avais un compte instagram dont je m’occupais très peu. J’ai posté pas mal de photos pendant le confinement, certaines que j’avais depuis longtemps. Aujourd’hui j’y passe 1h30 par jour. » Son compte « viedunsommelier » compte aujourd’hui plus de 4 200 abonnés et sa notoriété est telle qu’il reçoit désormais des bouteilles directement des producteurs. « J’ai de plus en plus de demandes de toute la France pour faire des posts mais je ne publie que ce qui me plais vraiment. Je ne fais pas de placement de produit. » Nicolas Barbou préfère d’ailleurs aller directement à la rencontre des vignerons. Depuis le déconfinement, il a repris la route du vignoble. Saint-Philbert de Grandlieu, Sainte-Pazanne, la Chapelle-Heulin, La Haye-Fouassière, etc., ses jours de repos sont presque toujours ponctués d’une visite dans les vignes, avec un ou des membres de la « Team Marius ».

Adepte des réseaux sociaux, Nicolas Barbou partage chacune de ses visites dans le vignoble sur ses comptes Facebook et Instagram.

L’événementiel, axe clé de la relance
Avec 120 Muscadets à la carte, la brasserie Marius fait partie des plus grands prescripteurs de l’appellation. Dans la carte des vins, chaque vigneron a sa fiche de présentation et les crus communaux y sont largement mis en avant. Avant le confinement, il était d’ailleurs prévu de l’enrichir de nouvelles références mais le projet a été suspendu. « On continue avec les actuels pour ne pas diviser les achats. Mais la cave se vide vite avec 3 à 400 bouteilles par soir. Des commandes, il y en a toutes les semaines. » Si Nicolas Barbou est plutôt confiant pour la saison, en raison de l’emplacement du restaurant sur les quais de Pornic, ce n’est pas le cas de tous les établissements. Pour les aider à se relancer et soutenir également les producteurs locaux, le Voyage à Nantes a décidé de maintenir la Nuit des Tables de Nantes prévue le 27 septembre. « Nous avons d’ailleurs plus de restaurants qu’en 2019. Nous sommes à 85 pour l’instant contre 62 l’an passé », indique Richard Baussay, pilote de l’opération. Le concept lui reste inchangé. Les restaurants proposeront de la vente à emporter en extérieur avec des assiettes à 5 € maximum et en association avec un vigneron ou producteur local. Le week-end suivant, les Muscadétours mettront à leur tour à l’honneur la gastronomie locale avec un format différent des précédentes éditions. Terminées les Agapes à 800 ou 1000 personnes, les organisateurs ont opté pour plusieurs lieux de rendez-vous avec une jauge plus limitée. Les chefs seront toujours associés à des vignerons pour proposer des accords mets et vins de qualité et à un prix abordable.

« A Nantes l’offre culinaire est adaptée à son terroir »
Le rendez-vous qui prend toutefois une dimension particulière avec cette crise sanitaire, c’est celui de l’é.Paulée nantaise. Créé il y a trois ans par le chef Nicolas Guiet pour soutenir les vignerons touchés par le gel, il sera cette année dédié aux restaurants en difficulté. « On inverse la vapeur et ce sont les vignerons qui soutiennent les restos », précise Gigi. « Les vignerons ont aussi été touchés mais ce sont eux qui sont à l’origine de cette demande. Ils reverseront entre 50 et 100 % du chiffre d’affaires de la soirée aux restaurateurs. On essaye aussi de trouver des partenaires fournisseurs pour alléger le coût matière pour les restaurants. » La liste des établissements participants n’est pas encore connue mais les dates sont fixées : ce sera du 12 au 15 novembre 2020, à Nantes, son agglomération et son vignoble.

L’é.Paulée nantaise, ici en 2018, sera dédiée cette année aux restaurateurs en difficulté. Crédit : Christophe Bornet BY KRISTO.

Cette opération solidaire montre à quel point les liens entre la restauration et son vignoble se sont resserrés ces dernières années. Pour Carole Bretin du domaine Landron, « la création des Vignes de Nantes a boosté la présence des Vins de Nantes dans les restaurants, et pas seulement des vins de l’association. Avant cela les établissements nantais était pauvres en propositions. Depuis, une sorte de cohésion s’est créée et encore plus depuis la naissance de l’é.Paulée nantaise. » Richard Baussay estime lui qu’il y a « un parallèle entre l’évolution du vignoble et celle de la restauration. Le renouvellement des générations, la notion de savoir-faire, les pratiques environnementales font que l’un va avec l’autre. Les vignerons ont travaillé pour montrer qu’il y avait des Muscadets et cela a généré de la curiosité chez les restaurateurs et le grand public. En France et ailleurs en Europe, on sait qu’à Nantes l’offre culinaire est adaptée à son terroir, qu’elle joue sur sa proximité avec l’Océan et qu’il y a un très bon rapport qualité-prix. » Le guide des Tables de Nantes édité tous les ans met d’ailleurs en lumière cette évolution de l’offre culinaire et la percée du Muscadet. Chaque année, les restaurants affichant le logo « I Love Muscadet », attribué à ceux ayant plus de 5 Muscadets à la carte, sont de plus en plus nombreux. Dans leur futur restaurant, prévu pour 2021 à Port Domino au Pallet, Aurélie et Jean-Charles Batard prévoient d’ailleurs une carte des vins largement marquée Muscadet, quand le restaurant Marius à Pornic travaille lui à la création d’une cuvée « Marius », en partenariat avec le vigneron Eric Chevalier à Saint-Philbert de Grandlieu.
Mais comme la vigne, ces liens demandent du temps et de l’attention. Le 12 octobre, la Fédération des Vins de Nantes recevra ainsi 150 professionnels du vin à la Frémoire. Baptisée « Muscadet Vins de Nantes, le nouvel ancrage », cette opération vise à faire découvrir le renouveau du vignoble à des cavistes, restaurateurs et sommeliers. Pour François Lieubeau, « il ne faut jamais s’arrêter de porter le Muscadet. Nous avons le soutien de nombreux chefs devenus des ambassadeurs mais aussi de Nantais qui veulent consommer local. La valeur d’une appellation se construit en restauration et aujourd’hui le pari est en passe d’être gagné. Le Muscadet est en vogue à l’étranger, et nous avons encore du potentiel dans nos bastions français comme la Bretagne, la Normandie ou Paris. » Pour Richard Baussay, plus que le Muscadet c’est désormais l’ensemble des Vins de Nantes qu’il faut valoriser. « Cela fait 10 ans que nous avons lancé le Voyage à Nantes. Cette première phase a été focalisée sur le Muscadet et une bonne partie du travail est faite. On peut désormais envisager de parler d’autres choses. On commence par exemple à avoir une offre de vins rouges de qualité. Il y a une diversité, une créativité dans le vignoble. Les choses ne sont pas figées. » La restauration comme la viticulture sont en constante évolution, en constante adaptation face aux changements structurels ou conjoncturels. S’il est certain que la crise sanitaire laissera des traces, elle aura permis de renforcer les liens entre les deux familles, peut-être plus unies que jamais, et de créer un nouvel élan autour des notions de qualité, de proximité et de terroir.