Les nouveaux profils du Muscadet
Suite et fin de notre dossier sur les récents et futurs installés dans le Muscadet. Après s’être intéressés au parcours d’installation de jeunes vigneron.nes, coup de projecteur ce mois-ci sur les modèles d’exploitations, leur statut juridique et leurs débouchés. 100 % négoce, vente directe ou un peu des deux, producteur-négociant ou investisseur, les profils d’exploitations ont considérablement évolué, traduisant la mutation profonde vécue par l’appellation.
Au Domaine de l’Auberdière à La Chapelle Basse-Mer, la relève est assurée. A 27 ans, Jean-Baptiste Morille s’apprête à passer le cap de l’installation en 2019. Après un BTS Acse, une formation Agricadre, un Master Vintage et plusieurs expériences professionnelles à l’étranger, le jeune homme a décidé de revenir sur l’exploitation familiale. « Un choix personnel » mûri de longue date. « J’ai eu plusieurs propositions d’emploi mais je ne me voyais pas travailler ailleurs sachant que je savais que j’allais revenir ici. » Dans quelques mois, il deviendra associé du gaec de 65 hectares de vignes et 21 hectares de vergers. « Le projet est de maintenir les deux productions. Elles sont complémentaires et permettent de mutualiser du matériel. Nous sommes également en perpétuelle recherche de solutions pour travailler différemment, prendre en compte l’environnement avant d’utiliser un produit par exemple. Nous menons aussi un essai d’effeuillage en arbo. L’idée est de voir les ponts existants entre les deux. » Côté débouchés, l’installation de Jean-Baptiste ne va pas entraîner de changements. « Nous sommes apporteurs à la coopérative fruitière pour les pommes. Pour le vin, une partie part actuellement vers le négoce, une autre en vente directe et une petite partie vers l’export. L’objectif est de poursuivre ainsi, avec ces trois marchés, mais avec des proportions qui vont évoluer à court et moyen terme. »
Comme Jean-Baptiste, 4 à 7 personnes s’installent chaque année en viticulture dans le vignoble de Nantes. Ils sont fils ou filles de viticulteurs, anciens salariés en viticulture ou en reconversion. Sur leur profil, leur parcours et leur choix d’installation, les informations sont rares. Seules quelques données sur l’installation sont publiées par la Chambre d‘agriculture des Pays de la Loire, mais celles-ci concernent l’ensemble de la Région et sont toutes productions confondues. On peut toutefois retenir que les installations en viticulture sont rares : en 2017, elles représentaient 4 % des installations aidées en Pays de la Loire. Parmi elles, 6 % l’étaient en agriculture biologique. Certains candidats à l’installation font par ailleurs le choix d’être accompagnés par le Répertoire Départ Installation, outil développé par les Chambres d’agriculture pour mettre en relation cédants et repreneurs. En 2017, 129 candidats ont été accompagnés en Loire-Atlantique et 66 offres d’exploitations enregistrées (toutes productions confondues). Sur ces 129 candidats, seulement 5 % étaient à la recherche d’une exploitation viticole. Un chiffre toutefois en progression. En 2016, 4 % des candidats envisageaient de s’installer en viticulture, ils n’étaient qu’1% en 2014.
« Plus de variétés pour plus de sécurité »
A La Varenne, Romain Moreau prévoit lui aussi de s’installer en 2019. Fils de vigneron, le jeune homme, actuellement ouvrier viticole dans un domaine à Haute-Goulaine, ne prévoit toutefois pas de reprendre l’exploitation familiale. « Au départ en retraite de mon père, le domaine sera divisé en deux. Ma mère reprend 8 hectares et je créé ma propre structure, également sur 8 hectares. » Ses surfaces, Romain Moreau les a choisies en bio. « Elles sont en conversion depuis un an et demi. Je pars du principe qu’une fois installé, la démarche de conversion est trop compliquée. » Concernant ses marchés, là aussi tout est déjà prévu. « Au début je vais travailler avec le négoce tout en développant la vente directe. J’aimerais aussi nouer des partenariats avec d’autres vignerons. » Sa production est en effet diversifiée entre le Melon de Bourgogne, le Gamay, le Cabernet, le Malvoisie et le Chenin. « Avoir plus de variétés apporte plus de sécurité. Les appellations de l’Anjou sont par ailleurs plus stables que le Muscadet même si je crois en cette appellation. Il y a en aura toujours sur l’exploitation. »
« Le Muscadet s’écrit au pluriel »
A 25 kilomètres de là, à Saint-Fiacre, Louise Chéreau est quant à elle « une amoureuse des vins du Muscadet ». Installée depuis début 2018, elle a rejoint l’entreprise familiale en 2014, ou plutôt les deux entreprises : l’une étant centrée sur la production, l’autre sur l’activité négoce. « Lorsque mon grand-père a créé la Maison Chéreau Carré en 1960, nous avions un statut de vigneron – négociant en Muscadet et Val de Loire. Depuis 20 ans mon père a eu le souhait de se recentrer sur le Muscadet en ayant la possibilité de racheter des vignes ou de reprendre des fermages, en axant ses choix sur la qualité et la diversité des terroirs. Nous avons achevé ensemble cette transition en 2017 et je me suis installée cette année sur 132 hectares. Aujourd’hui, nous travaillons sur six domaines uniquement en Muscadet Sèvre et Maine entre Château Thébaud et Basse Goulaine. 55 % est exporté et 45 % est vendu en CHR principalement. Cette évolution est principalement due à une volonté de produire une gamme cohérente correspondant gustativement à l’identité que nous nous sommes forgés au fur et à mesure des générations. »
Titulaire d’une licence de traduction juridique et d’un Master en commerce, Louise Chéreau a également choisi de développer ses compétences techniques. « J’ai passé un BTS viti-oeno en un an et je m’insère petit à petit dans la production en complément de toutes les personnes qui travaillent chez nous. » Aujourd’hui, la jeune femme se définit « avant tout comme vigneronne. Mon souhait est de développer notre gamme sur cette appellation et son cépage ; le Melon de Bourgogne. Nous avons compris il y a bien longtemps que le Muscadet s’écrit au pluriel et que nous pouvons « jouer » sur la diversité des terroirs et des techniques de vinification. Mon souhait est de développer ce que nous faisons déjà depuis le début ; travailler sur les Muscadets de terroir, notamment les crus, nos cuvées parcellaires haut de gamme ainsi que des créations de cuvées de « garage » à venir. » Quant à l’activité négoce, elle devrait évoluer à l’avenir, « mais pas disparaître. Nous sommes, avec mon père, en train de réfléchir à la transition. »
Une holding en Muscadet
Dans le vignoble de Nantes comme ailleurs, les exploitations viticoles ne sont pas seulement l’affaire de fils ou filles de vignerons. Pour certains, il s’agit d’une reconversion. Pour d’autres d’un investissement. De nouvelles structures ont ainsi vu le jour du fait de l’arrivée d’investisseurs. C’est le cas du Château Guipière à Vallet, repris en 2015 par Philippe Nevoux. Promoteur immobilier à Vertou, cet « entrepreneur dans l’âme » est également un passionné de vin. « J’ai suivi des cours d’œnologie, de dégustation. J’ai commencé à m’intéresser à la fabrication du vin, au travail dans les vignes puis à chercher un domaine à reprendre. » Sa quête l’a d’abord mené dans le Bordelais puis dans l’Anjou, avant de découvrir le Château Guipière. « Je n’avais pas forcément d’appétence pour le Muscadet. J’étais comme le client lambda, j’avais des à priori. Mais j’ai découvert ce Domaine, tenu par deux frères dont l’un partait en retraite. Il y avait une histoire à raconter mais également une exploitation d’un seul tenant avec 7 hectares supplémentaires de terres agricoles et de bois. » Étendu sur 28 hectares, le Domaine travaille alors principalement pour le négoce. A son arrivée Philippe Nevoux a tout remis à plat. « Le commerce n’était pas vraiment en place et les prix trop bas pour que l’activité soit pérenne. » Trois ans après, la Château Guipière travaille en vente directe mais aussi avec la grande distribution, la restauration, et « met actuellement l’accent sur l’export. » L’exploitation a replanté, 4 hectares en 3 ans, et va renouveler l’opération sur 3 autres hectares d’ici 3 ans. Elle s’est aussi modernisée, l’accueil du public se fait dans d’anciennes écuries totalement rénovées, et tend vers l’agriculture biologique. « Nous avons récemment été labellisés Haute Valeur Environnementale. Nous visons maintenant le bio d’ici 5 ans pour répondre à la demande des clients. »
Présent sur la partie commerciale, Philippe Nevoux laisse la production à Stéphane Gouraud son maître de chai. « Le Domaine compte deux permanents à la vigne, un équivalent temps plein saisonnier, une personne à l’administratif plus moi à mi-temps ». A 53 ans, il est effet toujours à la tête d’une société immobilière de 16 salariés. Une structure qui lui « permet d’absorber le déficit de l’exploitation. Le Domaine à le statut de SCEA et fait partie d’une holding. » L’homme d’affaires reconnaît d’ailleurs qu’il espérait des résultats « plus rapides. Mais les recettes d’une entreprise classique ne fonctionnent pas en viticulture. Il y a les aléas climatiques, les investissements, humains et en matériel. Pour que l’activité soit équilibrée il faut des vins valorisés et vendus au bon prix. Je prévois d’atteindre l’équilibre d’ici 2 ans. On est sur la bonne voie. Il y a un intérêt pour le Muscadet. Plus on tire vers le haut, plus on est appréciés. Il faut absolument tenir les prix. Mais pour cela il faut que les producteurs soient solidaires, ce qui manque dans ce milieu. »
Mutualiser les compétences
Ce constat, Emmanuel Tuffreau le partage aussi. Lui non plus n’est pas fils de vigneron mais il est l’un des nouveaux visages du Muscadet. Ancien commercial dans l’agroalimentaire reconverti dans la gestion d’entreprise, il est « persuadé que le Muscadet est voué à un avenir prometteur » mais constate par ailleurs qu’il traverse une « période de transition liée à la décapitalisation des entreprises et à la pyramide des âges. Il y a un virage à prendre et c’est ce que nous avons fait dans notre coin en agglomérant 4 entreprises en 6 ans. » En 2012, Emmanuel Tuffreau s’est en effet associé avec Frédéric Guilbaud, vigneron à La Haye-Fouassière, puis trois ans plus tard avec Laurent Botineau, producteur à Haute-Goulaine. Ensemble, ils ont créé les Chais de Haute-Ville. « S’il n’y avait pas eu ce rapprochement, j’aurais tout arrêté » concède Frédéric Guilbaud. « J’étais fatigué, j’allais dans le mur. Le plus compliqué pour moi, c’était la vente et c’était justement la spécialité de Laurent. Lui aussi voulait tout arrêter. Il est venu nous voir et notre complémentarité a donné naissance à cette structure. » Cette organisation a permis aux deux vignerons de se concentrer sur le cœur de métier, Frédéric à la vigne et Laurent au commerce. « De mon côté je m’occupe de tout ce qu’ils n’aiment pas, notamment l’administratif. Camille, la fille de Frédéric, nous a également rejoint pour gérer toute cette masse de travail liée à la production, au commerce, à la réglementation relative à l’environnement puisque nous sommes Terra Vitis depuis deux ans. Nous avons également deux salariés à temps plein, un BTS en alternance et nous sommes en cours de recrutement d’un poste à temps plein à la vigne et à la cave. » Constituée en SARL, l’entreprise est détenue par les trois associés, deux à hauteur de 40 %, le dernier à 20 %. « Comme il n’y a pas d’associé majoritaire, cela oblige les gens à se parler et à faire consensus » précise Emmanuel Tuffreau. Et après un démarrage difficile, les efforts engagés commencent à porter leurs fruits. « Au départ on a beaucoup investi dans le matériel, refait la cave, les étiquettes, fait des animations mais les ventes de bouteilles n’étaient pas suffisantes. L’arrivée de Laurent nous a permis de multiplier par 2,5 la vente de bouteilles, la GMS étant notre principal débouché. » En 6 ans, l’entreprise s’est par ailleurs agrandie. Elle s’étend sur 45 hectares, uniquement de Muscadet, répartis sur quatre îlots « pour diversifier les terroirs et être moins sensibles aux aléas climatiques » : le Château de la Sébinière au Pallet, les Hautes Perrières à Mouzillon, le Château de la Bretonnerie à la Haye-Fouassière et le Domaine de l’Archer à Haute-Goulaine. « On est plein d’espoir et d’énergie. Bien sûr c’est très dur au niveau de la trésorerie mais ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas se battre. Les indicateurs sont bons, il y a eu une belle récolte, la reconnaissance des clients » poursuit Emmanuel Tuffreau. Et d’ajouter que l’avenir du Muscadet et de son vignoble tiendra peut-être dans la solidarité entre vignerons. « Il ne faut pas que ceux qui réussissent laissent crever leurs voisins sinon demain il n’y aura plus de vignoble. La solidarité permettra de ne pas dévaloriser le vignoble dans son ensemble. Peut-être qu’à l’avenir il ne restera plus que 300 exploitations mais cette réduction ne doit pas s’accompagner d’un arrachage massif. »
Amour du Muscadet, passion, diversité, solidarité, sont les mots clés évoqués par chacun de ces récents ou futurs installés. Tous sont emplis d’ambition pour l’appellation mais partagent des modèles d’exploitation et des débouchés différents. Preuve qu’il n’existe pas un mais plusieurs scénarios possibles. Tous sont en tout cas conscients qu’une exploitation viticole est avant tout une entreprise. Elle doit permettre à ceux qui y travaillent de vivre de leur métier. Pour cela, elle doit se remettre en question, investir et surtout valoriser sa production. Tous partagent par ailleurs la même volonté, autrefois portée par leurs aînés : celle de faire du Muscadet un grand vin de France.