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Viticulture, le plein d’emplois


A l’approche de la récolte, les offres d’emplois de vendangeurs ont fleuri sur le web. Mais dans le vignoble de Nantes, comme ailleurs, le besoin de main d’œuvre se ressent tout au long de l’année. A la vigne bien sûr, mais pas seulement. Quels sont alors les leviers pour recruter et former son équipe ?

« Pénurie de main d’œuvre dans le Muscadet » sur France 3, « Loire-Atlantique : le vignoble embauche urgemment pour les vendanges » dans Presse-Océan, « Groupement recherche 120 vendangeurs désespérément » pour l’Hebdo Sèvre et Maine, etc. Cet été, les médias ont fait écho des besoins en main d’œuvre du vignoble de Nantes relayant ainsi l’appel aux volontaires de nombreuses exploitations viticoles. « Nous avons des entreprises dynamiques mais un gros déficit en salariés et peu de solutions. Les nouvelles pratiques agricoles sont de plus en plus exigeantes en main d’œuvre. Le développement du bio notamment tiendra en la capacité à recruter des salariés » confirme Marc Le Jallé, chargé de l’emploi à la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
A l’heure de la récolte, ce sont surtout les vendangeurs qui font défaut. Avec l’augmentation des vendanges manuelles, les besoins sont de plus en plus importants. « Nous avions 200 vendangeurs à trouver pour cette année. Dans l’histoire du groupement, même s’il n’a que quatre ans, c’est notre plus grosse saison » constate Carine Sartori, directrice du groupement d’employeurs Valore à Clisson. « Les articles dans la presse nous ont beaucoup aidé à recruter. On se rend compte de l’importance de la communication. Nous avons reçu des demandes d’associations du Nord de la France, de missions locales, d’organismes qui s’occupent de réfugiés, beaucoup de jeunes locaux. Nous avons aussi des demandeurs d’emplois, des retraités, etc., les profils sont très variés. » Le groupement compte aussi sur la main d’œuvre des pays de l’Est. « Nous avons une grosse équipe roumaine, une cinquantaine de personnes à l’année. Elles font les vendanges puis enchaînent avec la taille. Nous allons aussi les former à la conduite de tracteurs. » Pour garder ces salariés, Valore met les bouchées double même s’il est parfois contraint par la conjoncture, non pas économique mais immobilière. « Le problème, c’est le logement. Nous avons dû refuser un groupe de 25 jeunes lillois pour les vendanges faute d’avoir pu leur trouver un hébergement. Nous montons actuellement un partenariat avec une résidence d’affaire à La Haye-Fouassière mais il manque un foyer de jeunes travailleurs sur le secteur. C’est l’une de nos préoccupations et les collectivités locales ont été saisies du problème. »

« L’image globale n’est pas bonne »
Si le problème de main d’œuvre ressort au moment des vendanges, les besoins sont bien récurrents tout au long de l’année. La Chambre d’agriculture de Loire-Atlantique diffuse ainsi une trentaine d’offres d’emplois en viticulture par an. « Ce sont principalement des postes d’agent polyvalent, avec une double compétence végétal/conduite de matériel. Une partie de ces offres reste insatisfaite. Environ 20 % ne trouve pas preneur. Pour les postes liés au travail à la cave, à la vente ou à l’oenotourisme en revanche, il n’y pas de soucis » indique Marc Le Jallé. Comment expliquer alors ce manque d’attrait pour le travail de la vigne ? « C’est un phénomène qui touche tous les métiers agricoles. Ils sont méconnus ou ont une image biaisée. Certains ne voient que la pénibilité, la répétition des tâches. Il y a un gros décalage entre la représentation que l’on s’en fait et la réalité. Il y a aussi cette difficile adaptation dans les zones périurbaines. Pour certains, les viticulteurs gênent. L’image globale n’est pas bonne. » Pour le chargé d’emploi, le travail en vignes étroites, plus complexe, et sur des vignes basses peut aussi expliquer le manque de candidatures. « C’est un métier monotâche avec la taille l’hiver puis on passe au tout mécanique. Certains ne restent pas car une partie du travail ne leur convient pas. » Être à la fois à la vigne et à la cave, au bureau pour l’administratif ou sur la route pour le commerce peut en effet déstabiliser certains candidats. Sans parler des salaires, pas toujours à la hauteur de leurs attentes. « Il y a un gros travail de connaissance des métiers à faire. Le recrutement, c’est une histoire de réseau. Il faut prendre des stagiaires, prendre le temps de les accueillir. C’est la même chose avec les voyages en viticulture que nous organisons pour les demandeurs d’emplois et les personnes en reconversion. On a du mal à trouver des exploitations viticoles qui veulent nous accueillir pour parler de leur métier. On y arrive mais ce n’est pas le secteur le plus facile. »

Deux fois par an, la Chambre d’agriculture organise des voyages en viticulture, comme ici au Domaine de la Pépière. Objectif : permettre à des demandeurs d’emplois ou à des personnes en reconversion de découvrir le métier de vigneron.

La promotion des métiers agricoles et viticoles, c’est l’une des missions des lycées de Briacé au Landreau et Charles Peguy à Gorges. « Nous participons à des salons. Chaque année, nous sommes présents au Forum Place Ô gestes à Nantes pour promouvoir le maraîchage et la viticulture. Mais on a du mal à accrocher les jeunes » relate Gwenaële Guillard, responsable communication et développement à Briacé. Cette année, ils ne sont que 5 élèves à faire leur rentrée en Bac pro viti, contre une quinzaine en 2017. « Les jeunes se tournent davantage vers une filière générale ou technologique avant de poursuivre sur un BTS viti-oeno. » Les effectifs en BTS sont pour leur part relativement stables avec 18 à 20 élèves par promotion. Même constat au lycée Charles Peguy où le BTS technico-commercial vins et spiritueux attire entre 15 et 20 étudiants par an. « Ils sont de plus en plus nombreux à venir de l’enseignement général. En grandissant, ils se découvrent une passion pour le vin. Certains sont fils ou filles de viticulteurs mais d’autres ont suivi un autre cursus avant de s’engager dans cette formation » indique Jean Luneau, enseignant. Et si une partie choisit de poursuivre ses études à l’issue des deux ans de formation, les autres n’ont que l’embarras du choix pour trouver du travail. « On pourrait presque dire qu’ils sont courtisés. Ils ont au minimum 16 semaines de stages, aussi bien chez les viticulteurs, que les cavistes, les agents. Ils développent leur réseau. Nous avons peu d’élèves qui restent sur le carreau. »

Petite annonce ou aide familiale ?
Si le constat est alarmant, le tableau n’est pas complètement noir. En moyenne, selon les données fournies par CER France, une exploitation du Muscadet compte 3,4 UTH pour 27 hectares. Preuve que même si le chemin est long, il est possible de trouver des salariés. La première solution, c’est la traditionnelle annonce. Via Pole Emploi, la chambre d’agriculture, les sites internet spécialisés (Anefa, Apecita, etc.), mais aussi les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) ou, plus surprenant, Leboncoin. A Vallet, une exploitation vient ainsi de dénicher la perle rare sur le site de petites annones. Enfin, les établissements scolaires aussi transmettent les offres à leurs élèves.
Deuxième possibilité : les groupements d’employeurs comme Loire et Sèvre à St Julien de Concelles et Valore à Clisson. Ce dernier a « multiplié par 2,5 le nombre d’entreprises adhérentes en 4 ans. On travaille aujourd’hui pour une cinquantaine de vignerons. Nous en accueillons des nouveaux, des gens qui n’avaient jamais travaillé avec nous. Ils nous disent que c’est le prix du stress qu’ils n’auront pas » déclare Carine Sartori. Outre la gestion des ressources humaines et de l’administratif, le groupement d’employeurs organise des formations pour ses salariés. « Nous avons des jeunes saisonniers qui sont intéressés par la conduite de machines. Nous allons donc mettre une formation en place pour une dizaine de personnes. Nous relancerons également les formations à la taille à l’automne. L’objectif est de passer 15 à 20 personnes supplémentaires en CDI. » La Chambre d’agriculture dispose elle aussi depuis deux ans de son propre groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification, le GEIQ. Son objectif est de répondre aux besoins en compétences des entreprises adhérentes en proposant un parcours de formation personnalisé. Les salariés passent ainsi 80 % de leur temps en exploitation, les 20 % restant étant consacrés à la formation. « Nous avons 7 personnes en parcours GEIQ cette année. Ce sont des gens en reconversion qui ont découvert la vigne lors de voyages et qui veulent y travailler » précise Marc Le Jallé.

Valore va lancer des formations à la conduite de tracteurs pour ses salariés.

La formation, c’est l’une des réponses au manque de main d’œuvre. Il arrive en effet de trouver des candidats motivés mais pas ou peu qualifiés. Pour y remédier, plusieurs solutions existent. Le GEIQ notamment mais aussi les préparations opérationnelles à l’emploi collective (POEC). Elles comprennent plusieurs modules (taille de vigne, conduite de tracteur, de chariot élévateur, certiphyto, etc) et sont dispensées à Briacé. En parallèle, le centre de formation continue propose les formations BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole) et BPA (Brevet Professionnel Agricole) Vignes et Vin, mais aussi des dispositifs de découverte des métiers de la vigne : les voyages en agriculture organisés avec la Chambre d’agriculture et l’ADEMA, l’Accès des Demandeurs d’Emploi aux Métiers Agricoles, qui comprend 154 heures de formation et trois semaines en entreprise.
Pour les exploitations aux besoins plus limités ou ponctuels, les entreprises de travaux agricoles permettent d’alléger la charge de travail. Adrien Lhommeau dirige l’une d’entre elles à Clisson et constate lui aussi une hausse des sollicitations. « Nous nous sommes lancés en 1982. A l’époque beaucoup de viticulteurs s’équipaient de machines à vendanger. Aujourd’hui, la tendance s’inverse, pour des questions de coût, de stockage mais aussi de main d’œuvre. La demande est telle que nous avons dû acheter une 10ème machine. » Autre solution : l’entraide familiale. Celle-ci est toutefois limitée aux parents au 1er degré (père/mère, fils/fille, frère/sœur), exercée de manière occasionnelle, sans lien de subordination, ne doit pas donner lieu à rémunération et l’activité ne doit pas se substituer à un poste de travail nécessaire. Elle diffère de l’aide familiale, valable 5 ans et qui donne au salarié, parent au 1er degré de l’exploitation, un statut de salarié. L’entraide entre agriculteurs est également possible. Elle se définit, selon la MSA « comme un échange de services réciproques entre agriculteurs. L’agriculteur qui donne un coup de main le fait dans la perspective de bénéficier ensuite d’une prestation équivalente» Dans tous les autres cas, « si les critères du salariat sont réunis, s’il y a un lien de subordination, des horaires à respecter, l’activité doit être déclarée, même pour une journée » précise Erwan Boisard, directeur adjoint du travail à la Direccte des Pays de la Loire.
Enfin, il existe une dernière solution pour pallier au manque de main d’œuvre : la robotique. Robots de désherbage, de travail du sol, de tonte et même les drones de traitement ne cessent de se développer en viticulture. Le premier enjambeur autonome a d’ailleurs pris du service il y a quelques semaines dans le vignoble de Nantes. D’ici à voir des humanoïdes ramasser le raisin, il n’y a qu’un pas…