L’image du Muscadet, du local à l’international : deuxième partie
Deuxième volet de notre dossier sur l’image du Muscadet. Après avoir recueilli les impressions des prescripteurs locaux, nous sommes allés à la rencontre de ceux qui contribuent au rayonnement de l’appellation au niveau national. Journalistes, chefs de file vins, acheteurs ou sommeliers, ils nous livrent leur perception du Muscadet.
Le point de vue de la Grande Distribution : « Un équilibre prix à conserver »
Il se définit comme un « défenseur du Muscadet » pourtant Frédéric Guyard ne manque pas d’objectivité quand il parle de l’appellation. Rédacteur en chef adjoint de « Rayons Boissons », magazine professionnel spécialisé dans les boissons en grande distribution, il constate que l’appellation « a une image accessible et rassurante mais monolithique, sans hiérarchie et peu statutaire. C’est une unité de besoin, celle d’un vin blanc sec à bas prix. Il est considéré comme un produit alimentaire d’entrée de gamme, à prix promotionnel plus que comme un produit vecteur d’image. On peut le regretter mais c’est un constat. J’en ai pour preuve le millésime 2008. Lorsque les cours ont explosé, la réaction des enseignes a été de déréférencer le Muscadet au profit de Côtes de Gascogne ou d’IGP. Depuis, cela n’a pas beaucoup évolué. » Attentif aux évolutions du vignoble, Frédéric Guyard estime que le Muscadet manque aujourd’hui d’un « profil produit auprès du grand public. Cela ne me dérange pas d’avoir un profil Muscadet avec un côté gustatif, plus aromatique et un Muscadet avec toute sa typicité sur un produit plus haut de gamme. » Il considère d’ailleurs que « le Muscadet Sèvre et Maine sur lie manque de vins de Châteaux. Le Château peut apporter une légitimité à une appellation et justifier un prix supérieur. Cela manque aussi d’une marque phare dans le Muscadet. Il y a eu quelques essais par le passé mais non transformés. » Le journaliste affirme par ailleurs « croire aux crus communaux. On a là un produit fort. Les différentes initiatives pour identifier ce 3e niveau ont permis d’intégrer des circuits comme celui de la restauration. C’est un gros travail, il faut aller toucher les prescripteurs qui s’adressent ensuite aux consommateurs. Ce n’est qu’en multipliant les expériences que cela va finir par payer. »
Chef de file vin au sein du groupe Système U, Gérard Brégeon, partage l’avis de Frédéric Guyard sur les crus communaux : « Cela commence à prendre une place importante notamment lors des foires aux vins. Cela n’est pas très important en volume mais nous avons une clientèle pour ces vins. » Pour préparer la foire aux vins de printemps, il a fait le tour des vignobles français à la rencontre des fournisseurs. « Pour nos sélections, nous reconduisons bien sûr une partie de nos références et fournisseurs et nous en cherchons de nouveaux. Nous réalisons également nos assemblages pour nos marques de distributeur. » Côté prix, celui qui est aussi patron du Super-U de la Tranche-sur-Mer en Vendée, reconnaît que vendre « un Muscadet a plus de 4 € c’est compliqué. Il y a 10 ans quand les prix ont augmenté, les ventes se sont écroulées. Il y a un équilibre à conserver et on essaye de valider les prix sur plusieurs années. On est là pour aider le vignoble. Mais je constate qu’après deux années de petites récoltes et d’augmentation de prix, les ventes ont eu tendance à reculer au profit de vins comme le Chardonnay et le Sauvignon. Dans l’Ouest, elles restent toutefois importantes. Cela reste une référence phare pour les huîtres, les fruits et de mer, etc. Et la qualité est très correcte car le travail est bien fait. »
Le point de vue du distributeur : « Capitaliser sur la richesse du terroir »
Spécialiste de la distribution de boissons auprès des professionnels de la restauration, France Boissons propose une gamme d’une vingtaine de références de Muscadets. « C’est une part importante de nos ventes en vins du Val de Loire » précise Mathieu Vildard, responsable des achats vins pour les régions Bretagne, Pays de la Loire et Normandie. « Ces dernières années, l’image de l’appellation a considérablement évolué. Les retours de nos clients sont très positifs. L’image qu’ils en ont a changé et celle de leurs propres clients aussi. Ce n’est plus le petit vin de comptoir, mais un vin de gastronomie et tendance aussi. Il a une image plus jeune et ceux qui le consomment sont d’ailleurs plus autour de la quarantaine. Cette jeune génération ne connaît pas forcément la réputation passée du Muscadet et dans 10 ans elle sera même complètement oubliée. Cela n’empêche pas d’avoir des gammes premiers prix mais on a une vraie baisse sur ces vins là, qui n’est d’ailleurs pas propre qu’au Muscadet. Nous vendons en revanche de plus en plus de crus, de cuvées prestige. Et le prix n’est pas un frein. Nous avons une référence à plus de 10 € sur laquelle nous avons de très bon retours. » Son conseil pour poursuivre cette progression : « capitaliser sur la richesse du terroir. Il faut aussi profiter de cette nouvelle génération de vignerons qui donne un coup de jeune à l’appellation. Il faut aller sur de nouveaux visuels, de nouveaux concepts, casser les codes. »
Le point de vue du sommelier : « Le Muscadet a été trop longtemps banalisé »
Meilleur sommelier du monde en 2000, Olivier Poussier a travaillé dans les plus grandes maisons en France et à l’étranger. Chef sommelier de la Maison Lenôtre, il ne tarit pas d’éloges sur le Muscadet. « J’ai cette ouverture d’esprit de reconnaître que l’on peut trouver de grands vins dans toutes les appellations. Ce que le Muscadet a contre lui, c’est sa réputation. En tant que sommelier, nous sommes des passeurs de messages. A nous professionnels de faire valoir la qualité de ces vins. » Olivier Poussier juge par ailleurs « formidable le travail réalisé sur les crus communaux. C’est extraordinaire ce qui s’est passé depuis les années 90, avec la persévérance de gens comme Michel Brégeon. Sur un terroir comme le Muscadet Sèvre et Maine il est normal et légitime que le Muscadet s’exprime différemment. Il faut s’imprégner de ça. Le Muscadet a été trop longtemps banalisé. Il y a aussi eu beaucoup de production. Il faut sortir de ça. Aujourd’hui on trouve des vins élevés plus longtemps, plus chers aussi mais un vigneron doit être en mesure de gagner sa vie. Ce qui est formidable avec le Muscadet, c’est l’aptitude des vins au vieillissement. Cela n’empêche pas la minéralité. Et cette aptitude est encore méconnue. La prochaine étape sera de démontrer la potentialité de vieillissement. »
Le point de vue du journaliste : « Il faut montrer cette diversité, ce potentiel de garde »
« Cela fait quelques années que ça bouge dans le Muscadet. Je sais qu’il s’y passe plein de choses mais pour en parler autour de moi, je constate que le Muscadet souffre encore d’une mauvaise image auprès du grand public. » Rachelle Lemoine suit depuis plusieurs années le vignoble de Nantes. Journaliste au Parisien et au Nouvel Obs, elle a eu l’occasion de sélectionner plusieurs cuvées dans ses parutions. Pour elle « le Muscadet est le reflet de ce qui se passe aujourd’hui dans la Loire. Cela reste un vignoble abordable mais dynamique. » En février dernier, elle a participé à la dégustation organisée par la Fédération des Vins de Nantes à Paris. « J’ai véritablement ressenti une dynamique de groupe et rencontré des vignerons jeunes et passionnés. » Le parti pris d’une communication tournée vers l’Océan, elle le juge « légitime ». « Quand on pense Muscadet, on pense Océan. Il fait d’ailleurs partie des vins associés à un type de consommation à table. Il est hyper connu des Français et je ne pense pas qu’il y ait une désaffection du grand public vers cette appellation. Mais il y a tout un travail de dégustation à faire. Il m’est par exemple arrivé de sélectionner des millésimes anciens en Muscadet. J’ai alors expliqué au consommateur qu’il s’agissait d’une vraies gourmandises. La tenue d’un grand vin, c’est le message sur lequel il faudrait insister. »
Journaliste au Figaro, Gabrielle Vizzanova a quant à elle eu l’occasion de venir découvrir le vignoble de Nantes il y a quelques semaines. Deux jours de visites et de rencontres avec les vignerons. « C’est important de connaître une région, de voir les paysages, les villages, de prendre le temps » estime t-elle. Auparavant, elle a réalisé une séance de dégustation chez elle à Paris. « J’ai goûté une centaine d’échantillons, de millésimes variés, mais surtout des vins produits par la jeune génération, plutôt en bio ou biodynamie. Lors de mes dégustations, j’applique toujours la même méthode. Je classe les vins dans trois catégories : les top, les pas mal et les pas bons. Je redéguste toujours le top en laissant les vins s’oxygéner. Je les goûte chaud aussi pour avoir une autre perception du goût. Sur cette dégustation, j’avais très peu de vins pas bons. Le niveau était très élevé. » Au final, 4 vins ont été sélectionnés pour cet article à paraître dans les prochaines semaines. « Cela faisait longtemps que j’avais envie de faire un dossier Loire. C’est une région où il y a un renouveau générationnel, mais victime pendant longtemps d’une mauvaise image qui n’est aujourd’hui plus justifiée. » La journaliste considère que « le mouvement est bien enclenché » dans le vignoble de Nantes. « Les vignerons sont motivés, il y a une jeune génération sereine vis-à-vis de son travail, qui a envie de faire toujours mieux. Mais il faut faire goûter les gens et les prescripteurs peuvent aider à cela. Cela va éveiller la curiosité. Il faut montrer cette diversité, ce potentiel de garde. Il faut éduquer le consommateur et cela demande du temps et de l’argent. Mais pour moi, c’est déjà gagné car le rapport qualité/prix est exceptionnel. »