Quel itinéraire technique pour mon domaine? Focus 3 : la viticulture raisonnée ou intégrée
Troisième et dernier volet de notre dossier sur les différents itinéraires techniques en viticulture. Si la part du bio et celle des exploitations certifiées HVE ou Terra Vitis progresse, l’agriculture conventionnelle reste prédominante. Ce qui ne veut pas dire que les agriculteurs et notamment les viticulteurs ne sont pas sensibles aux questions environnementales. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à pratiquer une viticulture dite raisonnée.
Pour certains c’est un terme fourre-tout, pour d’autres un concept un peu flou. Il n’existe d’ailleurs pas vraiment de définition précise de l’agriculture raisonnée, intégrée ou durable. Il s’agit plus d’une démarche d’amélioration que d’un modèle technique. L’objectif étant de produire mieux avec moins d’intrants, sans pour autant répondre à un cahier des charges ou à des critères de certification.
A Maisdon-sur-Sèvre, Didier Branger pratique justement une viticulture raisonnée depuis quelques années. Installé sur 19 hectares, uniquement en Muscadet, il y est arrivé par le biais du réseau Ariane1. Pourtant à son installation à la fin des années 80, la réduction des intrants ne faisait pas forcément partie des priorités. « A Briacé on nous disait bien qu’il fallait diminuer les traitements, mais il y a 25 ou 30 ans, si on perdait une grappe, c’était la fin du monde. »
Peu à peu, il a appliqué les recommandations du réseau de lutte raisonnée. « Je voyais que ça n’avait pas d’impact négatif sur les rendements. La vigne ne se portait même pas plus mal ». Il y a 6 ans, il a investi dans un tunnel de traitement, « payé avec les économies de produits réalisées ». Au début, ses riverains ont été quelque peu surpris par l’engin. « Ils se demandaient ce que je faisais, mais je leur ai expliqué et ils ont bien compris. » Pour préserver davantage les habitations, le vigneron a aussi installé une haie, « plantée avec les voisins. Je suis à l’aise sur toutes ces questions, ça ne me dérange pas d’expliquer ce que je fais et pourquoi je le fais, bien au contraire. »
Un pas vers le bio ?
En parallèle de l’achat de son tunnel de traitement, Didier Branger a rejoint le groupe Dephy, piloté par la Chambre d’agriculture de Loire-Atlantique. Mis en place en 2010 dans le cadre du Plan Ecophyto, ce groupe de progrès rassemble une dizaine de vignerons désireux de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires. « Cela nous permet de nous retrouver, d’échanger sur nos pratiques même si nous avons tous des structures différentes. Pendant la saison, nous faisons un point tous les 15 jours avec Florent Banctel, l’animateur du groupe. Au printemps, nous essayons de voir ce que l’on peut améliorer, même si cela devient un peu plus difficile au fil des années. » Didier a en effet déjà considérablement réduit l’usage de produits phytos. « Il n’y a qu’à regarder les factures d’il y a 10 ans et celles d’aujourd’hui pour s’en rendre compte ! » Depuis deux ans, il n’utilise par exemple plus d’insecticides. « J’installe des RAK® pour lutter contre la cochylis et l’eudémis. Je les positionne en avril et je les enlève à la taille. » Depuis quatre ans, il pratique aussi l’effeuillage sur une face sur un tiers de son exploitation, évitant ainsi l’anti-botrytis, et pour ses traitements, il recourt à la modulation de dose via Optidose développé par l’IFV. Pourquoi alors ne pas aller plus loin dans la démarche et passer en bio ? « Je veux avoir la possibilité d’utiliser des produits efficaces les années difficiles, comme ce fut le cas en 2016. Mais il y a 10 ans je n’aurais jamais pensé être en mesure de faire ce que je fais avec de tels résultats. C’est un système qui me correspond et qui est adapté à mon exploitation. »
Respecter l’environnement
A Gorges, Alain et Philippe Blanchard ne sont pas non plus dans une optique de conversion. Et pourtant, ils sont fiers de pratiquer une viticulture plus « avancée que le raisonnée. Nous utilisons des solutions de bio-contrôle » précise Alain. « Nous sommes dans un esprit de respect de l’environnement. Nous ne sommes pas là pour polluer la planète et on ne met pas des produits pour le plaisir. On essaye de respecter la faune et la flore tout en ayant un minimum de rendement. »
Les deux frères exploitent 32 hectares de vignes, principalement en Muscadet, et exportent 70 % de leur production. Il y a deux ans, ils se sont convertis à la confusion sexuelle pour lutter contre les tordeuses de grappes. « D’abord sur 7, 8 hectares, puis le double en 2017. Cette année, on devrait arriver à une vingtaine d’hectares couverts. On ne peut pas aller plus loin. Ce n’est pas que l’on ne le veut pas mais nos autres parcelles sont trop morcelées et certains collègues vignerons y sont encore réticents » explique Philippe Blanchard. Cette solution est en effet plus coûteuse, 200 € l’hectare en moyenne, mais les deux frères ne regrettent pas l’investissement. « Il n’y a pas photo ! En 2016, on a bien vu la différence entre les parcelles couvertes par les RAK® et les autres. » L’an passé, ils ont également changé leur appareil de traitement « pour limiter la dérive ». Un investissement financé dans le cadre du PCAE, le plan de compétitivité et d’adaptation des entreprises. « Nous avons un autre projet qui va se concrétiser dans les prochaines semaines, celui de construire une mini-station de récupération des eaux de lavage et de traitement des déchets. C’est un système qui nous permettra de filtrer et de détruire les effluents de traitement. ». La plate-forme sera installée juste devant un bâtiment sur lequel 110m2 de panneaux photovoltaïques ont été installés en 2010. Utiliser l’énergie solaire, c’est aussi une forme d’agriculture raisonnée.
Mieux valoriser les pratiques vertueuses
Intéressés par les innovations techniques, Alain et Philippe Blanchard ne comptent pas s’arrêter là. Il se renseignent notamment sur le matériel de labour et fin janvier, ils ont assisté à une démonstration de désherbage à base d’eau à Saint-Hilaire de Clisson. « Un bon système mais coûteux » avance Philippe. « Mais à l’avenir toutes ces innovations seront améliorées et il y aura de nouvelles solutions intéressantes. » C’est d’ailleurs ce que souhaite Alain. « Arrêter brutalement certains produits n’est pas une bonne solution. Il faut trouver des produits de substitution pour que l’on continue de produire à des coûts acceptables. Mais on s’adaptera aux évolutions. De nombreux efforts ont déjà été fait. Ce qui est dommage, ce que toutes les avancées en matière d’agriculture raisonnée ne sont pas valorisées auprès du grand public. »
Modulation de doses, confusion sexuelle, implantation de haies, de nichoirs, travail du sol sont autant de mesures agro-environnementales pratiquées dans le vignoble. Certifiées ou non, les pratiques « vertueuses » évoluent au rythme de la prise de conscience individuelle et collective et de l’assurance d’un équilibre économique. Si le Muscadet ne semble pas en retard dans cette transition, il devra affronter un autre enjeu en corollaire, celui de la valorisation du prix du vin.
L’info en plus :
L’éco-quali-conception, ça vous parle ? Tirée du principe d’éco-conception, qui intègre les aspects environnementaux dans la conception et le développement d’un produit, l’éco-quali-conception inclut en plus la qualité, en l’occurrence en viticulture celle du raisin. Mise au point et développée par l’ESA d’Angers, cette démarche se base sur l’analyse du cycle de vie (ACV). Cette méthode évalue et quantifie l’impact environnemental d’un produit, de sa conception à la fin de sa vie. En viticulture, il s’agit par exemple de mesurer l’impact d’un enjambeur ou d’un produit de traitement, sur l’ensemble de son cycle de vie. Doctorant à l’ESA d’Angers, Anthony Rouault a mis au point une méthodologie pour mettre en œuvre l’éco-quali-conception en viticulture. Il a développé un atelier ludique permettant aux viticulteurs de trouver des leviers pour réduire leur impact environnemental. Le jeu consiste à améliorer l’itinéraire technique d’un des participants en remplaçant certaines pratiques par d’autres, plus vertueuses. Le score obtenu est alors calculé selon la méthode de l’analyse du cycle de vie. Testé auprès des groupes Dephy du Maine-et-Loire et présenté à la dernière édition du SIVAL, cet outil d’animation pourrait être dupliqué en Loire-Atlantique.